Mère commente quelques-unes des qualités qu'elle a
énumérées dans son article "Ce qu'un enfant doit
toujours se rappeler" (Bulletin d'août 1950).
"Être modeste"
C'est s'estimer à sa juste valeur.
Généralement les gens passent d'une appréciation excessive
de leur valeur personnelle à un découragement également
excessif. Un jour, ils disent : "Je suis épatant", et le
lendemain: "Oh! je ne suis bon à rien, je ne peux rien faire."
C'est comme un pendule, n'est-ce pas. Il n'y a rien de plus
difficile que de savoir exactement ce que l'on est; il ne faut
ni se faire valoir ni se déprécier, mais connaître ses limites
et savoir comment on peut avancer vers l'idéal que l'on s'est
fixé. Il y a des gens qui voient très grand et,
immédiatement, ils s'imaginent qu'ils peuvent tout faire. Il y
a des petits officiers, par exemple, qui s'imaginent pou-voir
gagner toutes les batailles de la terre, et des petites gens qui
pensent dépasser tout le monde en valeur. Par contre, j'ai
connu certaines personnes qui avaient des capacités, mais
qui passaient leur temps à penser : "Je ne suis bon à rien."
Généralement les deux extrêmes se trouvent chez la même
personne. Mais quelqu'un qui sait au juste où il en est et
juste où il peut aller, c'est très rare. Nous avons évité de
parler de la vanité, parce que nous espérons que vous ne
serez pas pleins de vanité dès que vous remporterez un
succès.
Figurez-vous qu'il y a des plantes qui ont de la vanité ! Je
parle de plantes que l'on cultive soi-même. Si on leur_ fait
des compliments, par des paroles ou par des sentiments, si on
les admire, eh bien, elles redressent la tête — avec
vanité ! C'est la même chose chez les animaux. Je vais vous
raconter une petite histoire amusante.
À Paris, il y a un jardin que l'on appelle le Jardin des
Plantes : il y a là des animaux aussi bien que des plantes. On
venait de recevoir un magnifique lion. Il était en cage
naturellement. Et il était furieux. Il y avait, dans sa cage,
une porte derrière laquelle il pouvait se cacher. Et justement
il se cachait quand les visiteurs venaient le voir!
J'avais remarqué cela et, un jour, je me suis approchée de la
cage et je me suis mise à lui parler (les animaux sont très
sensibles au langage articulé, ils écoutent vraiment). J'ai
commencé à parler gentiment à mon lion, je lui disais : "Oh!
que tu es beau, comme c'est dommage que tu te caches ainsi,
on aimerait tant te voir..." Eh bien, il écoutait. Puis, peu à
peu, il m'a regardé d'un oeil, ensuite il a allongé le cou pour
mieux me voir; après il a étiré sa patte et, finalement, il a
mis le bout du nez sur les barreaux avec un air de dire :
"Voilà enfin quelqu'un qui me comprend!"
"Être généreux"
Je ne parlerai pas ici de la générosité matérielle qui
consiste naturellement à donner aux autres ce que l'on a.
Mais même cette vertu-là n'est pas très répandue, car dès
que l'on devient riche, on pense plus souvent à garder ses
richesses qu'à les donner. Plus les hommes possèdent, moins
ils sont généreux.
Je veux parler de la générosité morale. Se sentir joyeux,
par exemple, quand un camarade remporte un succès. Un
acte de courage, de désintéressement, un beau sacrifice ont
une beauté en soi qui vous donne de la joie. On peut dire
que la générosité morale consiste à savoir reconnaître la
vraie valeur et la supériorité des autres.