Commentaires sur un article de Mère intitulé
"
La Science de Vivre
"
(Bulletin de novembre 1950).
"Une vie sans but est une vie sans joie." Pourquoi?
Si l'on a un but, on peut suivre tranquillement la route qui
mène au but.
Il n'est pas nécessaire d'avoir un but pour suivre tranquillement
la route. Tant de gens sans but suivent tout à fait
tranquillement la route de leur routine sans faire aucun effort
!
Un but donne de la joie.
Parfois, il faut toute une vie pour atteindre son but, on
n'aurait donc la joie qu'à la fin de sa vie!
Un but est un idéal et un idéal est un enrichissement.
Oui, mais on peut avoir un idéal tout à fait matériel; ce
n'est pas l'idéal qui donne de la joie.
Un but donne un sens, une raison d'être à la vie, et cette
raison d'être implique un effort, et c'est dans l'effort que l'on
trouve la joie.
Exactement. C'est l'effort qui donne la joie : un être
humain qui ne sait pas faire d'efforts n'aura jamais de joie.
Les gens essentiellement paresseux n'auront jamais la joie
— ils n'ont pas la force d'être joyeux! C'est l'effort qui
donne la joie. L'effort fait vibrer l'être à un certain degré
de tension qui vous rend capable de sentir la joie.
Mais l'effort qui donne la joie, est-ce un effort imposé par les
circonstances ou un effort qui tend au progrès?
Vous confondez deux choses. L'une qui est physique et
l'autre psychologique. Il est tout à fait évident qu'un acte
accompli parce que l'on a décidé de l'accomplir et un acte
imposé par des circonstances plus ou moins favorables, n'ont
pas du tout les mêmes conséquences. Il est entendu, par
exemple, que les gens qui suivent une discipline yoguique
font souvent des jeûnes. Beaucoup de disciplines yoguiques
comportent des jeûnes très longs, et les gens qui les font sont
généralement très contents de les faire, car c'est leur propre
choix. Mais prenez cette même personne et mettez-la dans
certaines circonstances où la nourriture fait défaut, parce que
l'on ne peut pas s'en procurer ou parce que cette personne n'a
pas d'argent, et vous verrez cette personne dans un état
lamentable, se plaindre que la vie est terrible, bien que les
conditions soient identiquement les mêmes; mais dans un cas
elle a décidé de ne pas manger, tandis que dans l'autre, elle
ne mange pas parce qu'elle ne peut pas faire autrement. C'est
entendu, mais ce n'est pas la seule raison.
C'est seulement l'effort, en quelque domaine que ce soit
— l'effort matériel, l'effort moral, l'effort intellectuel—, qui
crée en soi certaines vibrations qui vous permettent d'entrer
en rapport avec les vibrations universelles, et c'est cela qui
donne la joie. C'est l'effort qui vous sort de l'inertie; c'est
l'effort qui vous rend réceptif aux forces universelles. Et la
chose entre toutes qui donne spontanément la joie, même à
ceux qui ne font pas de yoga, qui n'ont pas d'aspiration
spirituelle, qui ont une vie tout à fait ordinaire, c'est
l'échange de forces avec les forces universelles. Les gens ne
le savent pas, ils seraient incapables de vous
dire que c'est à cause de cela, mais c'est bien cela.
Il y a des êtres qui sont simplement comme de beaux
animaux — tous leurs mouvements sont harmonieux, leurs
énergies se dépensent harmonieusement, leurs efforts sans
calcul appellent des énergies tout le temps et ils sont
toujours joyeux; mais parfois ils n'ont pas de pensées dans la
tête, quelquefois ils n'ont pas de sentiments dans leur coeur,
ils vivent une vie tout à fait animale. J'ai connu des
personnes comme cela : de beaux animaux. Ils étaient beaux,
leurs gestes étaient harmonieux, leurs forces tout à fait
équilibrées et ils dépensaient sans calcul, ils recevaient sans
calcul. Ils étaient en rapport avec les forces universelles
matérielles et ils vivaient dans la joie. Ils ne pouvaient pas,
peut-être, vous dire qu'ils étaient joyeux — la joie, chez eux,
était si spontanée qu'elle était naturelle — et ils étaient
encore moins capables de vous dire pourquoi, parce que
l'intelligence n'était pas très développée. J'ai connu des gens
ainsi, qui étaient capables de faire l'effort nécessaire (pas un
effort prudent et calculé, mais spontané) dans n'importe quel
domaine : matériel, vital, intellectuel, etc., et dans cet effort
il y avait toujours de la joie. Par exemple, une personne
s'assoit pour écrire un livre, elle fait l'effort qui fait vibrer
quelque chose dans son cerveau pour attirer des idées —eh
bien, tout de suite, cette personne éprouve de la joie. Il est
tout à fait certain que, quoi que vous fassiez, même les
travaux les plus matériels, comme de balayer une chambre
ou de faire de la cuisine, si vous faites l'effort nécessaire
pour que ce travail soit fait au maximum de votre capacité,
vous aurez de la joie, même si la chose que vous faites est
contraire à votre nature. Quand on veut réaliser quelque
chose, on fait tout spontanément l'effort nécessaire; cela
concentre vos énergies sur la chose à réaliser et cela donne
une raison d'être à votre vie. Cela vous oblige à une sorte
d'organisation de vous-même, une sorte de concentration de
vos énergies,
parce que c'est cela que vous voulez faire et pas cinquante
autres choses qui la contredisent. Et c'est dans cette concentration,
dans cette intensité de la volonté, que se trouve
l'origine de la joie. Cela vous donne le pouvoir de recevoir
les énergies en échange de celles que vous dépensez.
Mère poursuit la lecture du même article : " L e
premier pas dans ce travail de perfectionnement de
soi, est de devenir conscient de vous-même."
"Se connaître et se contrôler", qu'est-ce que cela veut dire?
C'est être conscient de sa vérité intérieure, conscient des
différentes parties de son être et de leur fonctionnement
respectif. Il faut savoir pourquoi on fait ceci, pourquoi on
fait cela : il faut connaître ses pensées, connaître ses sentiments,
connaître toutes ses activités, tous ses mouvements,
ce dont on est capable, etc. Et se connaître n'est pas suffisant
: il faut que cette connaissance amène un contrôle conscient.
Se connaître parfaitement, c'est se contrôler parfaitement.
Mais il faut une aspiration de tous les instants.
Il n'est jamais trop tôt pour commencer, jamais trop tard
pour continuer. C'est-à-dire que même quand vous êtes tout
petit, vous pouvez commencer à vous étudier vous-même et
à vous connaître, et, peu à peu, à vous contrôler. Et même
quand vous êtes ce que l'on appelle "vieux", quand vous
avez un grand nombre d'années, il n'est pas trop tard pour
faire l'effort de vous connaître de mieux en mieux et de vous
contrôler de mieux en mieux. C'est cela, la Science de vivre.
Pour se perfectionner, il faut d'abord devenir conscient
de soi. Je suis sûre, par exemple, que la chose suivante vous
est arrivée bien des fois dans votre vie; quelqu'un vous
demande subitement : "Pourquoi avez-vous fait
cela?" eh bien, la réponse spontanée est : "Je ne sais pas." Si
quelqu'un vous demande : "À quoi pensez-vous?" vous
répondez : "Je ne sais pas." "Pourquoi êtes-vous fatigué?" —
"Je ne sais pas." "Pourquoi êtes-vous content?" — "Je ne sais
pas", et ainsi de suite. Je peux prendre, n'est-ce pas, une
cinquantaine de personnes et leur demander tout d'un coup,
sans préparation : "Pourquoi avez-vous fait cela?" et si elles
ne sont pas intérieure-ment "éveillées", elles répondront
toutes : "Je ne sais pas" (naturellement, je ne parle pas ici de
ceux qui ont fait une discipline pour se connaître et suivre
leurs mouvements jusqu'à l'extrême limite; ceux-là peuvent,
naturellement, se ressaisir, se concentrer et donner la
réponse juste, mais seulement au bout de quelque temps).
Vous verrez que c'est comme cela si vous regardez bien
votre journée. Vous dites quelque chose et vous ne savez pas
pourquoi vous le dites — c'est seulement quand les mots
sont sortis de votre bouche, que vous vous apercevez que ce
n'était pas tout à fait ce que vous vouliez dire. Par exemple,
vous allez voir quelqu'un, vous préparez d'avance les paroles
que vous allez dire, mais une fois devant la personne en
question, vous ne dites rien, ou ce sont d'autres paroles qui
sortent de votre bouche. Êtes-vous capable de dire jusqu'à
quel point l'atmosphère de l'autre personne vous a influencé
et vous a empêché de dire ce que vous aviez préparé?
Combien de gens sont-ils capables de le dire? Ils ne
perçoivent même pas que la personne était dans tel ou tel
état et que c'est pour cela qu'ils n'ont pas pu lui dire ce qu'ils
avaient préparé. Naturellement, il y a des cas très évidents
où vous trouvez les gens de si méchante humeur, que vous
ne pouvez rien leur demander. Je ne parle pas de cela. Je
parle de la perception claire des influences réciproques : ce
qui agit et réagit sur votre nature; c'est cela que l'on n'a pas.
Par exemple, on est tout d'un coup mal à l'aise ou content,
mais combien de
gens peuvent dire : "C'est cela"? Et c'est difficile de savoir,
ce n'est pas facile du tout. Il faut être très éveillé; il faut être
constamment dans un état d'observation très attentif.
Il y a des gens qui dorment douze heures par jour et qui
disent, le reste du temps : "Je suis éveillé" ! Il y a des gens
qui dorment vingt heures par jour, et le reste du temps sont
à moitié éveillés !
Pour être dans cet état d'observation attentive, il faut
avoir, pour ainsi dire, des antennes partout, qui sont en
contact constant avec votre centre de conscience vrai. Vous
enregistrez tout, vous organisez tout et, de cette façon, vous
ne pouvez pas être pris à l'improviste, vous ne pouvez pas
être déçu, trompé, et vous ne pouvez pas dire autre chose
que ce que vous vouliez dire. Mais combien de gens viventils
dans cet état d'une façon normale? C'est cela que je veux
dire, précisément, quand je parle de "devenir conscient". Si
vous voulez tirer le plus grand profit des conditions et des
circonstances dans lesquelles vous vous trouvez, il faut être
pleinement éveillé; il ne faut pas être pris par surprise, il ne
faut pas faire les choses sans savoir pourquoi, il ne faut pas
dire des choses sans savoir pourquoi. Il faut être
constamment éveillé.
Il faut comprendre aussi que vous n'êtes pas des individualités
séparées, que la vie est un constant échange de
forces, de consciences, de vibrations, de mouvements de
toutes sortes. C'est comme dans une foule, n'est-ce pas :
quand tout le monde pousse, tous avancent, et quand tous
reculent, tout le monde recule. C'est la même chose dans le
monde intérieur, dans votre conscience. Il y a constamment
des forces et des influences qui agissent et réagissent sur
vous, c'est comme un gaz dans l'atmosphère, et à moins que
vous ne soyez tout à fait éveillé, ces choses entrent en vous,
et c'est seulement quand c'est bien entré en vous et que cela
sort comme si cela venait de vous, que vous
vous en apercevez. Combien ,de fois les gens rencontrent
des personnes nerveuses, en colère, de mauvaise humeur, et
ils deviennent eux-mêmes nerveux, en colère, de mauvaise
humeur, comme cela, sans savoir bien pourquoi. Comment
se fait-il que, quand vous jouez contre certaines personnes,
vous jouez très bien, mais quand vous jouez contre d'autres,
vous ne pouvez plus jouer? Et ces gens bien tranquilles, pas
méchants, qui tout à coup deviennent furieux quand ils se
trouvent dans une foule furieuse. Et l'on ne sait pas qui a
commencé : c'est quelque chose qui a passé et qui a balayé
la conscience. Il y a des gens qui sont capables de
déclencher des vibrations comme cela, et les autres
répondent, sans savoir pourquoi. Tout est ainsi, depuis les
plus petites choses jusqu'aux plus grandes.
Pour être individualisé dans une collectivité, il faut être
absolument conscient de soi. Et de quel soi? Le Soi qui est
au-dessus de tout mélange, c'est-à-dire ce que j'appelle la
Vérité de votre être. Et tant que vous n'êtes pas conscient de
la Vérité de votre être, vous êtes mû par toutes sortes de
choses, sans vous en rendre compte du tout. La pensée
collective, la suggestion collective est une influence
formidable, qui agit constamment sur la pensée individuelle.
Et ce qui est extraordinaire, c'est que l'on ne s'en apèrçoit
pas. On pense qu'on pense "comme ça", mais en réalité c'est
la collectivité qui pense "comme ça". La masse est toujours
inférieure à l'individu. Prenez des individus de qualité
analogue, de catégorie analogue, eh bien, lorsqu'ils sont
seuls, ces individus sont d'au moins deux degrés supérieurs
aux gens- de la même catégorie qui se trouvent dans une
foule. Il y a un mélange des obscurités, un mélange des
inconscients, et forcément on glisse dans cet inconscient.
Pour échapper à cela, il n'y a qu'un moyen : devenir
conscient de soi; de plus en plus conscient et de plus en plus
attentif.
Essayez de faire ce petit exercice ; au commencement
de la journée, dire : "Je ne parlerai pas sans penser à ce que
je dis." Vous croyez, n'est-ce pas, que vous pensez tout ce
que vous dites ! Ce n'est pas du tout le cas, vous verrez que
tant de fois le mot que vous ne voulez pas dire est prêt à
sortir, et que vous êtes obligé de faire un effort conscient
pour l'empêcher de sortir.
J'ai connu des gens qui avaient grand scrupule à ne pas
dire de mensonges, mais tout de suite, quand ils se
trouvaient en groupe, au lieu de dire le vrai, ils disaient
spontanément des mensonges; ils n'avaient pas l'intention de
le faire, ils n'y pensaient pas une minute avant de le faire,
mais cela venait "comme ça". Pourquoi? Parce qu'ils se
trouvaient avec des menteurs; il y avait une atmosphère de
mensonge, et ils avaient tout simplement attrapé leur
maladie !
C'est ainsi que, petit à petit, lentement, avec persévérance,
avec tout d'abord grand soin et beaucoup d'attention,
on devient conscient, on s'apprend à se connaître et,
ensuite, à devenir maître de soi.