"C'est seulement en observant les mouvements [de notre
être] avec beaucoup de soin, en les faisant passer, pour ainsi
dire, devant le tribunal de notre idéal le plus haut, dans une
volonté sincère de nous soumettre à son juge-ment, que nous
pouvons espérer éduquer en nous un discernement qui ne se
trompe point."
(La Science de Vivre, Bulletin de novembre 1950)
Il faut se rendre compte clairement de l'origine de ses
mouvements, parce qu'il y a des velléités contradictoires
dans l'être — les unes qui vous poussent ici, les autres qui
vous poussent là, et cela fait évidemment un chaos dans
l'existence. Si vous vous observez, vous verrez que dès que
vous faites quelque chose qui vous gêne un peu, le mental
vous donne immédiatement une raison favorable pour vous
justifier ce mental est capable de tout dorer. Dans ces
conditions, il est difficile de se connaître. Il faut être
absolument sincère pour y arriver et voir clair dans tous les
petits mensonges de l'être mental.
Si vous repassez mentalement les divers mouvements et
réactions de votre journée, comme on répète indéfini-ment
la même chose, vous ne ferez pas de progrès. Pour que cette
révision puisse vous faire progresser, il faut trou-ver
quelque chose au-dedans de vous, à la lumière de quoi vous
pourrez vous juger vous-même, quelque chose qui
représente pour vous la meilleure partie de vous-même, qui
ait un peu de lumière, un peu de bonne volonté et qui,
justement, soit épris de progrès. Vous mettez cela devant
vous et vous faites passer comme au cinéma, d'abord tout ce
que vous avez fait, tout ce que vous avez senti, vos
impulsions, vos pensées, etc. ; puis vous essayez de les
coordonner, c'est-à-dire de trouver pourquoi ceci est venu
à la suite de cela. Et vous regardez l'écran lumineux qui est
devant vous : certaines choses passeront bien, sans jeter
d'ombre; d'autres, au contraire, jetteront une petite ombre;
d'autres encore jetteront une ombre tout à fait noire et
désagréable. Il faut faire cela très sincèrement, comme vous
feriez un jeu : dans telle circonstance, j'ai fait telle et telle
chose, en sentant de telle façon et en pensant de telle
manière; j'ai devant moi mon idéal de connaissance et de
maîtrise de soi, eh bien, est-ce que cet acte était conforme à
mon idéal ou non? S'il est conforme, cela ne laisse pas
d'ombre sur l'écran, qui reste transparent, et l'on n'a pas à
s'en occuper. S'il n'est pas conforme, cela jette une ombre.
Pourquoi a-t-il laissé cette ombre? Qu'est-ce qu'il y avait
dans cet acte, qui était contraire à la volonté de se connaître
et de se maîtriser? La plupart du temps vous constaterez que
cela correspond à une inconscience — alors vous classez
parmi les choses inconscientes et vous décidez que la
prochaine fois vous tâcherez d'être conscient avant de faire
quelque chose. Mais dans d'autres cas, vous verrez que
c'était un vilain petit égoïsme tout noir, qui est venu
déformer votre acte ou votre pensée. Alors vous mettez cet
égoïsme devant votre "lumière" et vous vous demandez :
"Pourquoi a-t-il le droit de me faire agir comme cela, penser
comme cela... ?" Et au lieu d'accepter n'importe quelle
explication, vous chercherez et vous trouverez dans un coin
de votre être quelque chose qui pense, qui dit : "Ah! non,
j'accepterai tout sauf cela." Vous verrez que c'est une petite
vanité, un mouvement d'amour-propre, un sentiment égoïste
caché quelque part, cinquante choses. Alors vous regardez
bien tout cela à la lumière de votre idéal : "Est-ce que de
garder ce mouvement est conforme à ma recherche et à la
réalisation de mon idéal, ou est-ce que ce n'est pas conforme
à mon idéal? Je mets ce petit coin sombre en face de la lumière
jusqu'à ce qu'elle entre en lui et qu'il disparaisse."
Alors la comédie est finie. Mais ce n'est pas fini de la
comédie de votre journée, n'est-ce pas, car il y a beaucoup
de choses qu'il faut passer ainsi devant la lumière. Mais si
vous continuez ce jeu — car c'est vraiment un jeu si vous le
faites sincèrement — je vous assure qu'en six mois vous ne
vous reconnaîtrez plus, vous vous direz : "Quoi ! j'étais
comme cela, c'est impossible!"
On peut avoir cinq, vingt, cinquante ou soixante ans et
se transformer ainsi en mettant chaque chose devant cette
lumière intérieure. Vous verrez que les éléments qui ne se
conforment pas à votre idéal, ne sont pas générale-ment des
éléments qu'il faut rejeter complètement de vous (il y en a
très peu dans ce cas-là), ce sont simplement des choses qui
ne sont pas à leur place. Si vous organisez tout — vos
sentiments, vos pensées, vos impulsions, etc. — au-tour du
centre psychique qui est la lumière intérieure, vous verrez
que tout le désordre intérieur se changera en un ordre
lumineux.
Il est tout à fait évident que si un procédé analogue était
employé par une nation, ou par la terre, la plupart des
choses qui rendent les hommes malheureux disparaîtraient,
car la plus grande partie de la misère du monde vient du fait
que les choses ne sont pas à leur place. Si la vie était
organisée de telle façon que rien ne soit gaspillé et que
chaque chose soit à sa place, la plupart des misères
n'existeraient plus. Un vieux sage l'a dit :
"Il n'y a rien de mal. Il n'y a que des déséquilibres. Il n'y
a rien de mauvais. Il n'y a que des choses qui ne sont
pas à leur place."
Si tout était à sa place dans les nations, dans le monde
matériel, dans les actions, les pensées, les sentiments des
individus, la majorité des souffrances humaines disparaîtrait.
Il y a deux choses à considérer : la conscience et les
instruments à travers lesquels la conscience se manifeste.
Prenons les instruments : il y a l'être mental qui fabrique les
pensées, l'être émotif qui fabrique les sentiments, l'être vital
qui fabrique le pouvoir d'action et l'être physique qui agit.
Un génie peut se servir de n'importe quoi et faire quelque
chose de beau, parce qu'il est génial, mais donnez à ce génie
un instrument parfait et il fera quelque chose de
merveilleux. Prenez un grand musicien, eh bien, même avec
un vilain piano et des notes qui manquent, il fera quelque
chose de beau, mais donnez-lui un bon piano bien accordé et
il fera quelque chose d'encore plus beau. La conscience est
la même dans les deux cas, mais pour s'exprimer elle a
besoin d'un bon instrument — un corps avec des capacités
mentales, vitales, psychiques et physiques.
Si vous êtes physiquement mal bâti, mal fichu, il vous
sera difficile, même avec un bon entraînement, de faire, par
exemple, de la gymnastique aussi bien qu'une personne avec
un beau corps bien bâti. C'est la même chose pour le mental
— celui qui a un mental bien organisé, complexe, complet,
raffiné, s'exprimera beaucoup mieux que celui qui a un
mental plutôt médiocre ou mal organisé. D'abord il faut
éduquer votre conscience, devenir conscient de vous-même,
organiser votre conscience selon votre idéal, mais, en même
temps, ne négligez pas les instruments qui se trouvent dans
votre corps.
Prenons un exemple. Vous êtes dans votre corps avec
votre idéal le plus profond, mais vous vous trouvez devant
une classe et il faut enseigner quelque chose à des élèves. Eh
bien, cette lumière qui est là-haut, cette lumière de
conscience, quand il vous faudra expliquer à votre classe la
science que vous devez enseigner, est-ce qu'il est plus commode
d'avoir un certain fonds de connaissance ou est-ce que
l'inspiration sera telle que vous n'aurez pas besoin de ce
fonds de connaissance ? Quelle est votre expérience
personnelle?... Vous trouvez, n'est-ce pas, qu'il y a des
jours où tout va bien — vous êtes éloquent, vos élèves vous
écoutent et vous comprennent facilement. Mais il y a
d'autres jours où ce que vous avez à enseigner ne vient pas,
on ne vous écoute pas — c'est que vous êtes ennuyé et
ennuyeux. Cela veut dire que dans le premier cas votre
conscience est éveillée et concentrée sur ce que vous faites,
tandis que dans le deuxième cas elle est plus ou moins endormie
— vous êtes livré à vos moyens tout à fait extérieurs.
Mais en ce cas, si vous avez un fonds de connaissance, vous
pouvez dire quelque chose à vos élèves; si vous avez un
mental éduqué, préparé, bref un bon instrument qui ré-pond
bien quand vous voulez vous servir de lui, et si vous avez
aussi réuni toutes les notes, toutes les notions nécessaires,
tout marchera très bien. Mais si vous n'avez rien dans la tête
et, en plus, que vous n'êtes pas en contact avec votre
conscience supérieure, alors vous n'aurez d'autre ressource
que de prendre un livre et de lire votre leçon — vous serez
obligé de vous servir de la mentalité de quel-qu'un d'autre.
Prenons les jeux. Il y a aussi des jours où tout va bien;
vous n'avez rien fait de spécial la veille, mais quand même
vous réussissez tout; mais si vous avez bien travaillé avant,
le résultat sera encore plus magnifique. Si vous vous
trouvez, par exemple, devant quelqu'un qui s'est entraîné
lentement, sérieusement, avec patience et endurance, et qui
tout d'un coup a une forte aspiration, eh bien, celui-là vous
battra malgré votre aspiration, à moins que votre aspiration
ne soit de beaucoup supérieure à celle de votre adversaire.
Si vous avez en face de vous quelqu'un qui sait seulement la
technique du jeu, mais qui n'a aucune aspiration consciente,
et que vous, vous soyez en plein état de conscience, il est
évident que c'est vous qui le battrez, parce que la qualité de
conscience est supérieure à la qualité technique. Mais l'une
ne peut pas remplacer l'autre. Celle qui est supérieure est
plus importante, soit, mais il
faut aussi avoir des nerfs qui répondent vite, des mouvements
spontanés, connaître tous les secrets du jeu pour
pouvoir jouer parfaitement. Il faut les deux choses. Ce qui
est supérieur, c'est la conscience, qui vous fait faire le
mouvement juste au moment juste, mais ce n'est pas exclusif.
Quand on cherche la perfection, il ne faut pas négliger l'un
sous prétexte que l'on a l'autre.
Est-ce qu'il faut jouer pour gagner?
Quand on a une conscience de trois ou quatre ans, c'est
un stimulant tout à fait nécessaire. Mais on peut avoir une
conscience de quatre ans même à cinquante ans, n'est-ce pas
! Non, quand on a une conscience mûre, il ne faut pas jouer
pour gagner. Il faut jouer pour jouer et pour apprendre à
jouer et pour progresser dans les jeux, et pour que votre jeu
soit l'expression de votre conscience intérieure la plus haute
— c'est cela qui est important. Par exemple, les gens qui
aiment bien jouer, ils ne vont pas choisir les mauvais joueurs
pour jouer avec eux, simplement pour le plaisir de gagner —
ils choisiront les personnes qui jouent le mieux pour jouer
avec eux. Je me souviens d'avoir appris à jouer au tennis à
huit ans, c'était une passion; mais jamais je ne voulais jouer
avec des petits cama-rades, parce que je n'apprenais rien
(généralement, je les battais), j'allais toujours aux meilleurs
joueurs. Ils avaient parfois l'air étonné, mais finalement ils
ont joué avec moi — je ne gagnais jamais, mais j'apprenais
beaucoup.