Mère lit un article du Bulletin de novembre 1949,
intitulé "Un jugement correct". Après avoir examiné
divers éléments qui faussent le jugement, Mère
ajoute ce commentaire :
Les organès des sens sont sous l'influence de l'état psychologique
d'un individu, parce que quelque chose arrive entre
la perception de l'oeil et la réception dans le cerveau. C'est
très subtil; le cerveau reçoit les perceptions des yeux par les
nerfs, il n'y a pas de raisonnement, c'est pour ainsi dire
instantané, mais il y a un petit passage entre la perception de
l'oeil et la cellule qui doit répondre et apprécier dans le
cerveau. Et c'est cette "appréciation" du cerveau qui est sous
l'influence des sentiments. C'est la petite vibration entre ce
que l'oeil voit et ce que le cerveau apprécie, qui fausse
souvent la réponse. Et ce n'est pas une question de bonne
foi, car même les gens les plus sincères ne savent pas ce qui
se passe, même les gens très calmes, sans émotions
violentes, qui ne sentent même pas leurs émotions, sont
ainsi influencés sans se rendre compte de l'intervention de
cette petite vibration qui fausse.
Parfois, les notions morales s'en mêlent aussi et faussent
le jugement, mais nous devons rejeter loin de nous toute
notion morale, car la moralité et la Vérité sont très loin l'une
de l'autre (si je choque quelqu'un en disant cela, je le
regrette, mais c'est comme cela). C'est seulement quand on a
conquis toute attraction et toute répulsion que l'on peut
avoir un jugement correct. Aussi longtemps qu'il y a des
choses qui vous attirent et des choses qui vous répugnent, il
n'est pas possible d'avoir un fonctionnement des sens
absolument sûr.
Tout le monde sait, par exemple, que quand il arrive un
accident, il peut y avoir deux, trois, dix témoins, mais
ils ne voient pas du tout la même chose — une seule chose
se passe, mais il n'y a pas deux personnes qui la voient de la
même manière. Au choc intérieur, elles perçoivent
seulement une toute petite partie de ce qui se passe.
Mais il y a un moyen d'accorder les impressions —
l'idée et l'idée opposée — c'est de les considérer comme les
deux bouts d'une ligne et, en mettant entre ces deux bouts
une quantité innombrable d'idées qui se suivent, on finit par
trouver qu'il y a un accord entre elles. On trouve aussi que
c'est un exercice très intéressant.
(Mère poursuit sa lecture) "Seul celui qui est au-dessus
de toute sympathie et de toute antipathie, de tout désir et de
toute préférence, peut considérer toute chose avec une
parfaite impartialité à l'aide de sens dont la perception
purement objective devient semblable à celle d'un mécanisme
extrêmement délicat et perfectionné bénéficiant de la clarté
d'une conscience vivante."
Je dis la "perception objective". Voir objectivement,
c'est voir et juger sans rien ajouter de soi, en dehors de
toute réaction personnelle. Il faut arriver à voir une chose
sans rien y mélanger de ses propres sentiments.
Et j'ajoute que ce "mécanisme perfectionné" ne peut rien
faire sans la clarté d'une conscience vivante. Quand la
conscience est une, vous pouvez savoir par identité; c'est-àdire
qu'en unissant votre conscience à l'objet ou à la
personne que vous désirez connaître ou juger d'une façon
impartiale, vous entrez en contact intérieur avec cet objet
ou cette personne, et alors il est possible de savoir d'une
façon tout à fait sûre.
Aussi, ce qui déforme et fausse, c'est le souci des conséquences.
Pour avoir un jugement tout à fait vrai, il faut
savoir exécuter et agir sans désir — il y a un homme sur
mille qui peut le faire. Presque tous sont anxieux du
résultat ou ont l'ambition d'obtenir un résultat. Il ne faut pas
se soucier des résultats; simplement, faire une chose parce
qu'on a vu que c'est cela qui doit être fait, se dire : "Je fais
cela parce que c'est la chose à faire, et quoi qu'il arrive
après, je ne m'en soucie pas."
C'est là évidemment un idéal, et jusqu'à ce qu'il soit
atteint, l'action sera toujours mélangée; donc, à moins que
vous ne soyez mus par une vision claire de la Vérité, il faut
prendre pour règle de faire toujours ce que vous avez à faire
parce que c'est cela et rien d'autre qu'il faut faire.