Mère, "Cette force de vie insatiable, cette dme de désir en
nous, doit tout d'abord être acceptée, mais seulement pour
que nous puissions la transformer."
(La Synthèse des l'aga, Vol. I, p. 122)
Mais même quand on comprend que c'est le désir et qu'il
faut le rejeter, il y a des difficultés à discerner si c'est un
désir qui nous guide vers le Divin ou si c'est pure-ment le
désir.
On ne se trompe que quand on veut se tromper. C'est très,
très différent.
Mais dedans, on comprend.
Bon. Eh bien, alors ça suffit, si l'on comprend quelque
part, ça suffit.
C'est tout? Pas de questions?
Mère, le 6 janvier, tu as dit : "On demande à chacun ce
qu'il a et ce qu'il est, rien de plus, et rien de moins."
Oui.
Qu'est-ce que tu veux dire par "ce qu'il a et ce qu'il est" ?
Je vais clire dans quelles circonstances je l'ai écrit, cela
te fera comprendre :
C'est quelqu'un qui m'écrivait en me disant qu'il était
très malheureux, parce qu'il rêvait d'avoir des capacités
merveilleuses à mettre à la disposition du Divin, pour la
Réalisation, pour le Travail; et aussi qu'il rêvait d'avoir
des richesses immenses pour pouvoir les donner, les mettre
aux pieds du Divin pour 1' OEuvre. Alors je lui ai répondu
qu'il ne fallait pas être malheureux, que l'on demandait à
chacun de donner ce qu'il a, c'est-à-dire toutes ses possessions
quelles qu'elles soient, et ce qu'il est, c'est-à-dire toutes
ses possibilités — ce qui correspond à consacrer sa vie et à
donner toutes ses possessions — et que l'on ne demandait
rien de plus que cela. Ce que vous êtes, donnez-le; ce que
vous avez, donnez-le — et votre don sera parfait; au point
de vue spirituel, il sera parfait. Cela ne dépend pas de la
quantité de biens que vous avez ou du nombre de
possibilités que votre caractère contient; cela dépend de la
perfection de votre don, c'est-à-dire de la totalité de votre
don.
Je me souviens d'avoir lu, dans un livre qui racontait des
légendes de l'Inde, une histoire comme ceci. Il y avait une
très pauvre, très vieille femme qui ne possédait rien, qui
était tout à fait misérable, qui vivait dans une petite hutte
misérable et à qui l'on avait donné un fruit. C'était une
mangue. Elle en avait mangé la moitié et elle avait gardé
l'autre moitié pour le lendemain, parce que c'était une chose
si merveilleuse qu'il ne lui arrivait pas souvent d'en avoir —
une mangue. Et alors, quand la nuit est tombée, quelqu'un a
frappé à la porte branlante et a de-mandé l'hospitalité. Et ce
quelqu'un est entré et lui a dit qu'il voulait l'abri et qu'il
avait faim. Alors elle lui a dit : "Bon. Je n'ai pas de feu pour
vous chauffer, je n'ai pas de couverture pour vous couvrir,
et il me reste la moitié de cette mangue, c'est tout ce que
j'ai, si vous la voulez; j'en ai mangé la moitié." Et il se
trouve que ce quelqu'un était Shiva et qu'alors elle a été
remplie d'une gloire intérieure, parce qu'elle avait fait un
don parfait d'elle-même et de tout ce qu'elle avait.
J'avais lu cela, j'avais trouvé cela magnifique. Eh bien,
oui, c'est très descriptif, c'est cela. C'est cela même.
L'homme riche, ou même les personnes qui sont dans le
bien-être et qui ont toutes sortes de choses dans la vie et qui
font don au Divin de ce qu'ils ont en surplus — parce que
c'est généralement le geste : on a un peu plus d'argent qu'on
n'en a besoin, on a un peu plus de choses qu'on n'en a
besoin, et alors, généreusement, on donne cela au Divin.
C'est mieux que de ne rien donner. Mais même si ce "un
peu plus" que ce dont ils ont besoin représente des lakhs de
roupies, le don est moins parfait que celui de la moitié de
la mangue. Parce que ce n'est pas à la quantité ni à la
qualité que cela se mesure : c'est à la sincérité du don et à
l'absolu du don.
Mais les hommes riches dans la vie ordinaire, s'ils veulent
donner leurs richesses au Divin, le Divin n'est pas en face
d'eux, alors à qui donner? Ils ne savent pas où mettre leur
argent !
Oui, mais alors cela n'entre pas en question. S'ils n'ont
pas rencontré le Divin, ou intérieurement ou extérieurement,
cela n'entre pas en question. On ne leur demande pas
de donner à quelque chose qu'ils ne connaissent pas.
S'ils ont rencontré le Divin au-dedans d'eux-mêmes, eh
bien, ils n'auront qu'à suivre l'indication donnée par le
Divin pour l'emploi de ce qu'ils ont; et s'ils suivent d'une
façon tout à fait sincère et correcte les indications qu'ils
reçoivent, c'est tout ce qu'on peut leur demander. Mais
jusqu'à ce moment-là, rien n'est demandé à personne.
On ne commence à demander que quand on dit : "Voilà,
moi, je veux me consacrer au Divin." Alors c'est très bien,
à partir de ce moment-là, on demande; mais pas avant.
Avant, même si en passant vous tirez de votre poche un écu
et vous le mettez là, c'est très bien; vous avez fait ce que
vous pensiez devoir faire et c'est tout; on ne vous demande
rien du tout. Il y a une grande différence
entre demander au Divin de vous adopter, et puis faire un
geste de bonne volonté, mais sans avoir la moindre
intention de changer quoi que ce soit au cours de sa vie.
Ceux qui vivent d'une vie ordinaire, eh bien, s'ils font
un geste de bonne volonté, c'est tant mieux pour eux, cela
leur crée des antécédents pour les vies suivantes. Mais c'est
seulement du moment où l'on dit : "Voilà, maintenant je
sais qu'il n'y a qu'une chose qui compte pour moi, c'est la
vie divine, et je veux vivre la vie divine", à partir de ce
moment-là on demande, pas avant.
Mère, il y a des gens qui arrivent ici, qui ont de l'argent et
qui sont très dévoués, qui montrent leur dévouement, mais
quand la question d'argent se présente, ils font du
commerce... Alors, comment faut-il faire pour garder un
contact amical avec eux?
Quoi?
Ils sont très dévoués, ils montrent du dévouement...
De quelle manière? En prenant de Lui tout ce qu'ils
peuvent?
... mais quand la question d'argent arrive, ils font du
commerce, ils calculent.
Je vous dis, je vous ai répondu, c'est comme cela. Ils
viennent avec l'idée de prendre du Divin tout ce qu'ils
peuvent : toutes les vertus, toutes les capacités, toutes les
convenances aussi, toutes les commodités, tout, et quelquefois
même des pouvoirs, et tout le reste. Ils viennent pour
prendre, ils ne viennent pas pour donner. Et leur apparence
de dévouement est simplement un manteau qu'ils ont mis
sur leur volonté de prendre, de recevoir. Cela
couvre un grand champ : depuis sauver son âme, avoir des
expériences spirituelles, obtenir des pouvoirs... et cela finit
par une petite vie tranquille, confortable (plus ou moins,
enfin avec un minimum de confort) et pas de soucis, pas
d'embêtements, hors des tracas de la vie. C'est comme cela.
Cela fait une grande échelle. Mais s'ils donnent, c'est une
sorte de marchandage; ils savent que, pour prendre tout
cela, il faut bien donner un peu quel-que chose, autrement
ils ne le recevront pas, alors ils font semblant d'être très
dévoués. Mais ce n'est qu'une ressemblance, parce que ce
n'est pas sincère.
Le malheur pour eux, c'est que cela ne trompe personne.
Cela peut être toléré; mais cela ne veut pas dire
qu'on soit trompé.
Le marchandage est partout, dans toutes les parties de
l'être. C'est toujours donnant-donnant, depuis les expériences
spirituelles les plus hautes jusqu'aux petits besoins
matériels les plus minimes. Il n'y en a pas un sur un millier
qui donne sans marchander.
Et justement, la beauté de l'histoire dont je vous ai
parlé (d'ailleurs, il y en a beaucoup comme cela ici), c'est
que, quand la vieille femme a donné, elle ne savait pas que
c'était Shiva. Elle a donné au mendiant qui passait, pour la
satisfaction de faire du bien, de donner, pas parce que
c'était un dieu et qu'elle espérait en échange avoir le salut
ou quelque connaissance.
(Regardant le disciple) Il a encore une malice dans l'esprit!
Alors, qu'est-ce que c'est?
je voulais dire que ces désirs commencent avec le désir du
travail, et c'est guidé par le Divin aussi. Mais lorsqu'on a
compris que maintenant cela ne devait plus être le désir,
mais un don absolu, tout de même cela ne devient pas un
don; et cela continue indéfiniment. Pour-quoi cela?
Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il veut dire! (À un
autre disciple) Traduisez !
On commence en mélangeant le désir à son aspiration...
Oui, c'est ce que Sri Aurobindo a écrit.
... ensuite, on reconnaît qu'il y a un désir qui est mélangé,
mais on n'arrive pas à rejeter ce désir.
(Au premier disciple) C'est cela?
Non ! (rires)
C'est cela mais ce n'est pas cela!
Mère, vous avez dit que cela peut être toléré, mais il y a une
période de tolérance. Mais quand cela dépasse la période
de tolérance et ne veut pas s'arrêter, c'est la question.
Et alors quoi, qu'est-ce qui arrive?
Il veut demander comment il faut faire, ce qu'il faut faire.
Ah! enfin.
Ce qu'il faut faire?... Être sincère.
C'est cela; toujours, toujours, le petit ver dans le fruit.
On se dit : "Oh! Je ne peux pas." Ce n'est pas vrai; si on
voulait, on pourrait.
Et il y a des gens qui me disent : "Je n'ai pas de volonté."
Cela veut dire que vous n'êtes pas sincère. Parce
que la sincérité est une force infiniment plus puissante que
toutes les volontés du monde. Cela peut changer n'importe
quoi en un clin d'oeil : ça prend, ça tient, ça arrache — et
puis c'est fini.
Mais on ferme les yeux comme cela, on se donne des
excuses.
Le problème se renouvelle tout le temps.
Cela revient parce que vous ne l'arrachez pas complètement.
Ce que vous faites : vous coupez la branche,
alors ça repousse.
Ça prend des formes différentes.
Oui. Eh bien, on l'enlève chaque fois que ça vient, c'est
tout; jusqu'à ce que ça ne vienne plus.
On a parlé de cela, où était-ce?... Oh! c'était dans
Lumières sur le Yoga, je crois. Vous repoussez la chose d'une
partie de votre conscience dans une autre; et vous repoussez
et puis cela va dans le subconscient, et alors si vous
n'êtes pas vigilant, vous croyez que c'est fini, et puis de là,
ça montre son nez. Et alors, même quand vous le repoussez
du subconscient, ça descend dans l'inconscient; et puis là
aussi, il faut courir après pour le trouver.
Mais il y a un moment où c'est fini.
Seulement, on est toujours trop pressé, on veut que ce
soit fini bien vite. Quand on a fait un effort : "Oh! bien, j'ai
fait un effort, maintenant je dois avoir la récompense de
mon effort."
Au fond, c'est parce qu'il n'y a pas cette joie du progrès.
La joie du progrès, elle imagine que, même si l'on a réalisé
le but que l'on s'est proposé (mettez maintenant le but que
nous nous proposons : si nous réalisons la vie supramentale,
la conscience supramentale), eh bien, cette joie du progrès
dit : "Oh! mais ce ne sera qu'une étape dans l'éternité du
temps. Après cela, il y aura autre chose; et puis après
l'autre chose, il y aura encore autre chose; et toujours il
faudra avancer." Et c'est cela qui vous remplit de joie.
Tandis que l'idée : "Ah! maintenant on s'assoit, c'est fini,
on a réalisé, on va jouir de ce que l'on a fait", oh! comme
c'est ennuyeux! On devient tout de suite vieux, rabougri.
La définition de la jeunesse : on peut dire que la jeunesse,
c'est la croissance constante et le progrès perpétuel.
Et la croissance en capacités, en possibilités, en champ
d'action et en étendue de conscience, et le progrès dans la
réalisation des détails.
Évidemment. Il y a quelqu'un qui m'a dit : "Alors on
n'est plus jeune quand on s'arrête de grandir?" J'ai dit :
"Évidemment, je ne conçois pas que l'on grandisse perpétuellement!
Mais on peut grandir d'une autre manière que
purement physiquement."
C'est-à-dire que, dans la vie humaine, ce sont des périodes
successives. A mesure que vous avancez, il y a quelque
chose qui est terminé sous une forme et qui change de
forme... Naturellement, maintenant on arrive en haut de
l'échelle et on redescend; mais c'est tout à fait fâcheux, ce
n'est pas comme cela que ça doit être, c'est une mauvaise
habitude. Mais quand on a fini de pousser, que l'on est
arrivé au degré de hauteur que l'on conçoit comme celui
qui nous exprime le mieux, on peut transformer cette force
qui nous fait pousser en une force qui perfectionnera notre
corps, qui le rendra de plus en plus fort, de plus en plus
solide, avec une santé de plus en plus résistante, et on fera
de la culture physique pour devenir un modèle de beauté
physique. Et puis, en même temps, on commencera lentement
et on poursuivra une perfection du caractère, de la
conscience, de la connaissance, des pouvoirs et, finalement,
de la Réalisation divine dans tout ce qu'elle a de merveilleusement
bon et vrai, et de Son Amour parfait.
Voilà. Et cela, il faut le continuer. Et quand on aura
atteint une certaine hauteur de conscience, que l'on aura
fait, réalisé cette conscience dans le monde matériel et que
l'on aura transformé le monde matériel à l'image de cette
conscience, eh bien, on montera encore un échelon de plus,
on ira à une autre conscience — et on recommencera.
Voilà.
Mais ce n'est pas pour les paresseux. C'est pour les gens
qui aiment le progrès. Pas pour ceux qui viennent et qui
disent : "Oh! j'ai beaucoup travaillé dans ma vie, maintenant
je veux me reposer, voulez-vous me donner une
place dans l'Ashram?" Je leur dis : "Pas ici. Ce n'est pas un
endroit pour se reposer parce qu'on a beaucoup travaillé,
c'est un endroit pour travailler encore beaucoup plus
qu'auparavant." Alors, avant je les envoyais à Ramana
Maharshil : "Allez-là, vous entrerez en méditation et vous
vous reposerez." Maintenant c'est impossible, alors je les
envoie dans l'Himalaya, je leur dis : "Allez vous asseoir
devant les neiges éternelles ! cela vous fera du bien."
Voilà.