"... la pratique de ce yoga exige un constant souvenir intérieur
de la seule connaissance centrale libératrice [...] En
tout est le Moi unique, l'unique Divin est tout; tous sont dans
le Divin, tous sont le Divin, il n'est rien autre dans l'univers.
Cette pensée ou cette foi remplit tout l'arrière-plan de la
conscience du travailleur et finit par devenir la substance
même de sa conscience. Un souvenir, une méditation
dynamique de cette sorte doit se changer, et se change
effectivement à la fin, en une vision profonde et
ininterrompue, une conscience vivante et totale de Cela dont
nous nous souvenons si puissamment ou sur quoi nous
méditons si constamment."
(La Synthèse des roga, Vol. I, p. 165)
Douce Mère, qu'est-ce que Sri Aurobindo entend par "une
méditation dynamique"?
C'est une méditation qui a le pouvoir de transformer votre
être. C'est une méditation qui vous fait progresser,
contrairement à la méditation statique qui est immobile et
relativement inerte, et qui ne change rien à votre conscience
ni à votre manière d'être. Une méditation dynamique est une
méditation de transformation.
Généralement, les gens n'ont pas de méditation dynamique.
Quand ils entrent en méditation (ou du moins ce
qu'ils appellent "méditation"), ils entrent dans une espèce
d'immobilité où rien ne bouge — et ils en sortent exactement
comme ils y sont entrés, sans aucun changement ni
dans leur être ni dans leur conscience. Et plus c'est
immobile, plus ils sont heureux. Ils pourraient méditer
comme cela pendant des éternités, cela ne changerait jamais
rien à l'univers ni à eux-mêmes. C'est pour cela
que Sri Aurobindo parle de méditation dynamique, qui est
justement tout le contraire. C'est une méditation transformatrice.
Comment fait-on ? La manière de faire est-elle différente?
Je pense que c'est l'aspiration qui doit être différente,
c'est l'attitude qui doit être différente. Manière, qu'est-ce
que tu appelles "manière"? (riant) de s'asseoir?... Non? La
manière intérieure?
Oui.
Mais pour chacun c'est différent.
Je pense que le plus important, c'est de savoir pourquoi
l'on médite; c'est cela qui donne la qualité de la méditation,
qui fait qu'elle est d'un ordre ou d'un autre.
On peut méditer pour s'ouvrir à la Force divine, on peut
méditer pour rejeter la conscience ordinaire, on peut méditer
pour entrer dans les profondeurs de son être, on peut méditer
pour apprendre à se donner intégralement; on peut méditer
pour toutes sortes de choses. On peut méditer pour entrer
dans la paix et le calme et le silence (c'est généralement ce
que font les gens, sans y réussir très bien). Mais on peut
méditer aussi pour recevoir la Force de transformation, pour
découvrir les points à transformer, pour se tracer le chemin
du progrès. Et puis, on peut aussi méditer pour des raisons
très pratiques : quand on a une difficulté à résoudre, une
solution à trouver, qu'on veut être aidé dans une action
quelconque; on peut méditer pour cela aussi.
Je pense que chacun a son propre mode de méditation.
Mais si l'on veut que la méditation soit dynamique, il faut
avoir une aspiration de progrès et que la méditation soit
faite pour favoriser et pour satisfaire cette aspiration de
progrès. Alors cela devient dynamique.
Douce Mère, ici Sri Aurobindo écrit : "Peu importe la
nature du don et à qui nous le faisons" et puis " il doit y
avoir dans l'acte, la conscience que nous l'offrons à l'Être
divin,..."
(La Synthèse des Yoga, Vol. I, p. 163)
Ces deux phrases sont'ontradictoires, n'est-ce pas?
Non, mon enfant. C'est parce que tu ne comprends pas la
tournure de phrase française. Cela veut dire : peu importe la
nature du don que nous faisons et à qui nous le faisons,
pourvu qu'il soit fait comme un acte de consécration au
Divin.
C'est ce que je dis toujours aux gens en d'autres termes :
quel que soit le travail que vous faites — vous allez au
bureau, vous tenez des comptes, vous conduisez une automobile,
n'importe —, quel que soit le travail que vous faites,
et naturellement pour qui vous le faites, il faut que ce soit
une offrande au Divin. Il faut qu'en le faisant vous ayez le
souvenir du Divin et que vous le fassiez comme une
expression de votre consécration au Divin. C'est ce que Sri
Aurobindo dit, pas autre chose.
Douce Mère, j'ai une question à te poser, mais ce n'est pas
de moi, c'est de quelqu'un d'autre.
Ah ! voyons.
Pourquoi? Cette personne n'est pas ici?... Elle n'ose pas
parler ! Alors, dis ta question.
On a souvent dit, ou prédit, que les chiffres 2.3.4.5.6 (23
avril 56) auront une signification particulière pour
l'Ashram. Est-ce vrai?
Je peux répondre par une plaisanterie si vous voulez.
On parle maintenant de changer le calendrier; si on le
change, les chiffres seront changés, et puis toute l'Histoire
sera partie, envolée !
C'est une convention, n'est-ce pas.
Évidemment, si la convention est généralisée, comme
c'est le cas pour le calendrier, cela peut devenir une formation
très puissante. Mais il faut qu'elle soit adoptée d'une
façon très étendue 4our devenir une formation puissante (ce
que j'appelle "formations", ce sont des images que l'on peut
animer d'une force et prendre pour symbole). Il y a des gens
qui se font fies images à eux-mêmes et qui les prennent
comme symboles pour eux-mêmes; et pour eux-mêmes, cela
peu: être très utile et très valable, comme, par exemple, les
symboles des rêves. Mais ce n'est valable que pour eux,
c'est une chose pure-ment subjective. Tandis que, si vous
prenez le calendrier qui est adopté par la presque totalité
des êtres humains, alors votre symbole peut agir sur un
champ beaucoup plus étendu; mais l'origine est la même,
c'est une convention. Naturellement, ce sont des choses
auxquelles nous sommes habitués, parce que c'était comme
cela quand nous étions tout petits; mais cela dépend du pays
où l'on est né et de la communauté dans laquelle on est né.
Il y a des communautés qui comptent différemment. Et
alors, pour eux, ce sont d'autres chiffres, à d'autres
moments, qui ont une signification symbolique. Seulement,
si la formation que vous avez (dans laquelle vous êtes
né, que vous avez adoptée), si cette formation est adoptée
par l'immense majorité humaine, vous pourrez agir sur cette
majorité en agissant à travers cette formation. Vous ne
pouvez agir à travers une formation que dans la mesure où
cette formation est adoptée par un certain nombre de gens.
C'est purement conventionnel. On a commencé à compter à
partir d'une certaine date — qui aété choisie, d'ailleurs,
d'une façon tout à fait arbitraire —, et
alors les chiffres sont arrivés à ce qu'ils sont maintenant.
Mais par exemple, il n'y a qu'à se transporter dans une
communauté musulmane, où l'on a commencé à compter à
partir de... je ne sais pas si c'est la naissance ou la mort de
Mohammed — et leur chiffre est tout à fait différent. Alors,
si vous allez leur dire : 2.3.4.5.6, ils diront : qu'est-ce que ça
veut dire, votre chiffre 2.3.4.5.6? Rien du tout.
Ces choses peuvent être prises utilement comme des
symboles et des moyens de mettre en contact un monde plus
subtil avec un monde plus matériel. On peut s'en servir
comme cela, c'est tout.
Mais si, au lieu de millions de gens qui se servent du
calendrier actuel, il y en avait trois ou quatre seulement, cela
n'aurait aucun effet de dire que ces chiffres sont symboliques.
Ils ne seraient symboliques que pour trois ou
quatre personnes. Donc, ce n'est pas la chose en soi qui
compte, c'est l'étendue de l'usage qu'on en fait. C'est cela qui
est important.
Les gens font la même erreur avec les astres et les
horoscopes. C'est tout simplement un langage et une
convention, et si l'on adopte cette convention, on peut
l'utiliser pour faire du travail. Mais elle n'a qu'une valeur
relative et proportionnelle au nombre de gens qui l'ont
adoptée.
Dans ce monde relatif, nécessairement tout est relatif.
Alors il ne faut pas prendre les choses au pied de la lettre,
parce que cela vous fait un petit cerveau étroit comme ça.
Plus on est primitif, plus on est simpliste, et plus ces
choses prennent une valeur de superstition. Les superstitions
sont simplement la généralisation abusive d'un fait
particulier.
Je donne toujours l'exemple de la personne qui passe
sous une échelle. En haut de l'échelle, il y a un ouvrier qui
travaille et, par une coïncidence malencontreuse, il laisse
tomber son outil sur la tête du passant et il lui casse la tête
— ça, c'est un fait, et l'homme a la tête fracassée. Mais celui
qui voit l'accident, après, fait une règle générale et dit :
"Passer sous une échelle est un signe de malheur" — ça,
c'est une superstition. Et c'est comme cela que toutes les
choses se font.
Mais d'ailleurs, beaucoup de connaissances ont exactement
la même origine. Par exemple, si un certain médicament
a, par un concours de circonstances favorables,
guéri un certain nombre de gens, immédiatement on proclame
que ce médicament est tout-puissant pour cette
maladie. Mais ce n'est pas vrai. La preuve en est que, si l'on
administre le même médicament, de la même façon, à cent
personnes, il n'y aura pas deux effets semblables, et
quelquefois les effets seront diamétralement opposés. Par
conséquent, ce n'est pas la vertu du médicament lui-même
qui guérit; croire en ce médicament est une superstition.
Et au fond, il y a une très petite différence entre les
sciences et les superstitions. C'est peut-être seulement dans
le soin que l'on prend à s'exprimer. Si l'on prend soin,
comme les savants, de dire : "Il semble que ce soit comme
cela... on dirait que... tout concourt à faire penser...", alors
là, on n'a plus de superstition! Mais autrement, quand on dit :
"C'est comme ça", c'est nécessairement une superstition.
Voilà.
Alors, la personne qui t'a posé la question, tu lui répondras
ceci : si avec 3.4.5.6 ou avec 2.3.4.5.6, il vous
arrive quelque chose d'exceptionnel et que vous ayez une
révélation intérieure ou extérieure, vous pourrez pro-clamer
que c'est une date exceptionnelle. Mais s'il ne vous arrive
rien, ce ne sera pas du tout une date exceptionnelle pour
vous; ce sera une date comme toutes les autres!
(silence)
Il y avait une très vieille tradition, très, très vieille, plus
vieille même que la tradition védique ici, qui disait : "Si
douze hommes de bonne volonté s'unissent pour appeler le
Divin, le Divin est obligé de venir." Eh bien, c'est peut-être
une vérité, c'est peut-être une superstition. Peut-être que
cela dépend des douze hommes de bonne volonté et de ce
qu'ils sont. Peut-être que cela dépend d'autre chose aussi. Et
moi, je dis que probablement c'est arrivé comme cela, et
qu'au début douze hommes se sont réunis (il se trouvait
qu'ils étaient douze, peut-être ne savaient-ils même pas
pourquoi), et ils étaient tellement unis dans leur aspiration,
une aspiration tellement intense et puissante, qu'ils ont eu la
réponse. Mais dire : "Si douze hommes de bonne volonté se
réunissent dans une aspiration, ils sont sûrs de faire
descendre le Divin", c'est une superstition.
En fait, les choses ont dû arriver comme cela, et celui
qui l'a noté l'a mis soigneusement : "Si douze hommes de
bonne volonté unissent leur aspiration, le Divin est obligé de
venir." Et depuis ce moment-là, je peux vous dire qu'il y a
une quantité considérable de douze personnes qui se sont
unies dans une aspiration... et qui n'ont pas fait descendre le
Divin ! Mais on a tout de même laissé la tradition intacte.
Voilà.
Nous sommes beaucoup plus de douze ce soir. (rires) Si
on essayait une fois, pour voir si cela réussit!
(méditation)