Douce Mère, Sri Aurobindo parle de la "Nature exécutrice
mondiale". Est-ce qu'il existe une Nature exécutrice sur les
autres plans aussi?
Sur les autres plans, qu'est-ce que tu veux dire? Dans
le mental et plus haut.
La Nature terrestre contient non seulement la matière (le
physique et ses différents plans), mais le vital et le mental;
tout cela fait partie de la Nature terrestre.
Et après il n'y a plus de Nature, c'est-à-dire qu'il n'y a
plus cette distinction. Cela appartient essentiellement au
monde matériel tel qu'il est décrit làl.
Mais comme Sri Aurobindo le dit, ce n'est pas "toute la
Vérité". Il a simplement donné un résumé de ce qui est
expliqué dans la Guîtâ. C'est ce que dit la Guîtâ; ce n'est pas
tout à fait comme cela.
Seulement, comme il le dit, cela peut être utile, c'est-àdire
qu'au lieu de faire une confusion entre les différentes
parties de l'être, cela vous aide à distinguer entre ce qui est
supérieur et ce qui est inférieur, ce qui est tourné vers le
Divin et ce qui est tourné vers la matière. C'est une
conception qui est utile psychologiquement; mais en fait,
c'est tout. Ce n'est pas comme cela que sont les choses.
1
Dans le passage de La Synthèse des l'aga que Mère vient de lire (pp. 143 à 145),
Sri Aurobindo expose la distinction traditionnelle entre Pourousha et Prakriti, le Maître
de la Nature et la Nature, et il décrit les différents stades d'immersion du Maître de la
Nature dans la Nature, ou de l'âme dans les activités du monde, puis il montre le
chemin traditionnel de la libération de l'esprit, qui s'élève au-dessus de la Nature et
redevient le Maître de la Nature.
Sri Aurobindo écrit : "La Nature (non pas telle
qu'elle est en sa vérité divine, Pouvoir conscient de l'Éternel,
mais telle qu'elle nous apparaît dans l'Ignorance) est
une force exécutrice à la marche mécanique et sans intelligence
consciente, du moins pour l'expérience que nous en
avons, bien que toutes ses oeuvres soient imprégnées d'une
intelligence absolue."
(La Synthèse des Yoga, Vol. I, p. 143)
La Nature n'est pas consciemment intelligente?
Il y a une intelligence qui agit en elle et à travers elle,
dans son action, mais elle n'est pas consciente de cette
intelligence. On peut comprendre cela pour les animaux.
Prenez par exemple les fourmis. Elles font exactement ce
qu'elles doivent faire; tout leur travail et toute leur
organisation est quelque chose qui ressemble vraiment à une
perfection. Mais elles ne sont pas conscientes de l'intelligence
qui les organise. Elles sont mues mécaniquement
par une intelligence dont elles ne sont pas conscientes. Et
même si l'on prend les animaux les plus développés, comme
par exemple les chats ou les chiens, ils savent exactement ce
qu'ils doivent faire : une chatte qui éduque ses petits les
éduque aussi bien qu'une femme (quelquefois mieux qu'une
femme), mais elle est poussée par une intelligence qui la fait
mouvoir automatiquement. Elle n'est pas consciente de
l'intelligence qui lui fait faire les choses. Elle n'en est pas
consciente, elle ne peut pas changer quoi que ce soit au
mouvement par sa propre volonté. C'est quelque chose qui la
fait agir mécaniquement, mais sur quoi elle n'a aucun
contrôle.
Si un être humain intervient et éduque la chatte, il peut
lui faire changer son action; mais c'est la conscience de
l'être humain qui agit sur elle, ce n'est pas sa conscience à
elle. Elle n'est pas consciente de l'intelligence qui la fait
agir.
Et cette espèce de conscience de soi, cette possibilité de
se regarder faire, de comprendre pourquoi on fait les choses,
comment on les fait, et par conséquent d'avoir un contrôle
et de changer l'action, cela appartient au mental et en propre
à l'homme. C'est cela, la différence essentielle entre un
homme et un animal; c'est qu'il est conscient de lui-même,
qu'il peut se rendre compte de la force qui le fait agir, et
non seulement s'en rendre compte, mais la contrôler.
Mais tous les gens qui se sentent poussés par une force
et qui disent : "J'ai été obligé de le faire", sans la participation
de leur volonté, c'est qu'ils ont encore des racines
profondes dans l'animalité, c'est-à-dire dans l'inconscient.
On ne commence à devenir un être humain conscient que
lorsqu'on sait pourquoi on fait les choses et que l'on est
capable de changer son action par une volonté déterminée,
que l'on a un contrôle. Avant d'avoir un contrôle, on est
encore plus ou moins un animal avec un petit embryon de
conscience qui est là et qui commence, une petite flamme
qui vacille et qui essaye de s'allumer, et qui est soumise au
moindre souffle qui passe.
"En tant que Prakriti, la Nature est une Force inertement
active car elle accomplit un mouvemént qui lui est imposé;
mais en elle est Celui [le Pourousha] qui sait [...] L'âme
individuelle ou l'être conscient dans une forme peut
s'identifier au Pourousha qui jouit de l'expérience, ou à la
Prakriti qui agit. S'il s'identifie à Prakriti, il n'est pas celui
qui gouverne, qui possède et qui sait,..."
(La Synthèse des Yoga, Vol. I, pp. 144-45)
Si la Nature est entraînée par le Pouvoir qui est conscient
de soi et qu'elle fait exactement ce qui lui est imposé,
comment se fait-il que toutes ces déformations arrivent?
Comment la Nature peut-elle déformer?
Oui, j'attendais cela.
Je vous dis que c'est la théorie de la Guîtâ, que ce n'est
pas toute la Vérité.
J'ai entendu cela quand j'étais en France; ce sont les gens
qui expliquent la Guîtâ en disant qu'il n'y a pas de flamme
sans fumée — ce qui n'est pas vrai. Et partant de là, ils
disent : "La vie est comme cela et vous ne la changerez pas,
elle est comme cela. Tout ce que vous pouvez faire, c'est de
passer du côté du Pourousha : devenez la force gouvernante
au lieu d'être la force gouvernée." C'est tout. Mais comme le
dit Sri Aurobindo à la fin, c'est la théorie de la Guîtâ, ce
n'est pas toute la Vérité; c'est seule-ment une façon partielle
de voir les choses — utile, pratique, commode —, mais pas
totalement vraie.
En ce cas, comment se fait-il que des disciples de Sri
Aurobindo prêchent le message de la Guîtâ pour le salut du
monde?
C'est leur affaire. Si cela leur fait plaisir, moi cela m'est
égal.
Mais cela n'a aucun rapport avec le yoga de Sri
Aurobindo?
On ne peut pas dire aucun rapport; mais c'est une étroitesse,
c'est tout. Ils ont saisi un coin et ils en font le tout.
Mais cela arrive à tout le monde. Qui est-ce qui peut saisir le
tout, je voudrais bien le savoir? Chacun saisit son coin et il
en fait son tout.
Mais Sri Aurobindo a expliqué...
Oh! mais vous êtes un propagandiste ! Pourquoi voulezvous
les convaincre? S'ils sont contents comme cela,
laissez-les dans leur contentement... S'ils viennent vous dire :
"C'est
la théorie de Sri Aurobindo", vous avez le droit de leur dire :
"Non, vous vous trompez, c'est la théorie traditionnelle, ce
n'est pas la théorie de Sri Aurobindo." C'est tout. Mais vous
ne pouvez pas leur dire : "Vous devez en changer." Si cela
leur fait plaisir, qu'ils le gardent.
C'est très commode. J'ai vu cela en France, à Paris, avant
de venir dans l'Inde, et j'ai vu à quel point c'était pratique.
D'abord, cela vous fait saisir une vérité très profonde et
extrêmement utile, comme je l'ai dit; et puis cela vous met à
l'abri de toute nécessité de changer votre nature extérieure.
C'est tellement commode, n'est-ce pas. On dit : "Je suis
comme cela, qu'est-ce que j'y peux? Je me détache de la
Nature, je la laisse faire tout ce qu'elle veut, je ne suis pas
cette Nature, je suis le Pourousha, ah! qu'elle aille son propre
chemin, après tout! je ne peux pas la changer." C'est
extrêmement commode. Et c'est pour cela que les gens
l'adoptent; parce qu'ils s'imaginent être dans le Pourousha,
mais à la moindre égratignure, ils retombent dans la Prakriti,
en plein, et puis ils se mettent en colère, ou ils sont
désespérés, ou ils tombent malades, et voilà.
J'ai entendu quelqu'un, qui avait pourtant réalisé
justement cette espèce d'identification avec le Pourousha et
qui dégageait une atmosphère très remarquable, mais il
traitait de révolutionnaires dangereux tous les gens qui
voulaient changer quelque chose à la Nature terrestre, tous
ceux qui voulaient que les choses de la terre soient changées;
par exemple, que la souffrance soit abolie, ou qu'en dernière
limite on supprime la nécessité de la mort, qu'il y ait une
évolution, une progression lumineuse qui ne nécessite pas la
destruction. Ah ! ceux qui pensent comme cela sont des
révolutionnaires dangereux. Au besoin, il faudrait les mettre
en prison !
Mais quand on veut être un sage, sans même devenir
Oui, j'attendais cela.
Je vous dis que c'est la théorie de la Guîtâ, que ce n'est
pas toute la Vérité.
J'ai entendu cela quand j'étais en France; ce sont les gens
qui expliquent la Guîtâ en disant qu'il n'y â-pas de flamme
sans fumée — ce qui n'est pas vrai. Et partant de là, ils
disent : "La vie est comme cela et vous ne la changerez pas,
elle est comme cela. Tout ce que vous pouvez faire, c'est de
passer du côté du Pourousha : devenez la force gouvernante
au lieu d'être la force gouvernée." C'est tout. Mais comme le
dit Sri Aurobindo à la fin, c'est la théorie de la Guîtâ, ce
n'est pas toute la Vérité; c'est seule-ment une façon partielle
de voir les choses — utile, pratique, commode —, mais pas
totalement vraie.
En ce cas, comment se fait-il que des disciples de Sri
Aurobindo prêchent le message de la Guîtd pour le salut du
monde?
C'est leur affaire. Si cela leur fait plaisir, moi cela m'est
égal.
Mais cela n'a aucun rapport avec le yoga de Sri
Aurobindo?
On ne peut pas dire aucun rapport; mais c'est une étroitesse,
c'est tout. Ils ont saisi un coin et ils en font le tout.
Mais cela arrive à tout le monde. Qui est-ce qui peut saisir le
tout, je voudrais bien le savoir? Chacun saisit son coin et il
en fait son tout.
Mais Sri Aurobindo a expliqué...
Oh! mais vous êtes un propagandiste ! Pourquoi voulezvous
les convaincre? S'ils sont contents comme cela, laissez-les dans
leur contentement... S'ils viennent vous dire : "C'est
la théorie de Sri Aurobindo", vous avez le droit de leur dire :
"Non, vous vous trompez, c'est la théorie traditionnelle, ce
n'est pas la théorie de Sri Aurobindo." C'est tout. Mais vous
ne pouvez pas leur dire : "Vous devez en changer." Si cela
leur fait plaisir, qu'ils le gardent.
C'est très commode. J'ai vu cela en France, à Paris,
avant de venir dans l'Inde, et j'ai vu à quel point c'était
pratique. D'abord, cela vous fait saisir une vérité très
profonde et extrêmement utile, comme je l'ai dit; et puis cela
vous met à l'abri de toute nécessité de changer votre nature
extérieure.
C'est tellement commode, n'est-ce pas. On dit : "Je suis
comme cela, qu'est-ce que j'y peux? Je me détache de la
Nature, je la laisse faire tout ce qu'elle veut, je ne suis pas
cette Nature, je suis le Pourousha, ah! qu'elle aille son
propre chemin, après tout! je ne peux pas la changer." C'est
extrêmement commode. Et c'est pour cela que les gens
l'adoptent; parce qu'ils s'imaginent être dans le Pourousha,
mais à la moindre égratignure, ils retombent dans la Prakriti,
en plein, et puis ils se mettent en colère, ou ils sont
désespérés, ou ils tombent malades, et voilà.
J'ai entendu quelqu'un, qui avait pourtant réalisé
justement cette espèce d'identification avec le Pourousha et
qui dégageait une atmosphère très remarquable, mais il
traitait de révolutionnaires dangereux tous les gens qui
voulaient changer quelque chose à la Nature terrestre, tous
ceux qui voulaient que les choses de la terre soient changées;
par exemple, que la souffrance soit abolie, ou qu'en dernière
limite on supprime la nécessité de la mort, qu'il y ait une
évolution, une progression lumineuse qui ne nécessite pas la
destruction. Ah ! ceux qui pensent comme cela sont des
révolutionnaires dangereux. Au besoin, il faudrait les mettre
en prison !
Mais quand on veut être un sage, sans même devenir
un grand yogi, il faut pouvoir regarder toutes 'ces choses
avec un sourire, ne pas en être affecté. Vous avez votre
propre expérience; tâchez de la rendre aussi vraie et
complète que possible, mais laissez chacun à son expérience.
À moins qu'ils ne viennent vous trouver comme un
gourou et qu'ils ne vous disent : "Maintenant conduisez-moi
vers la Lumière et la Vérité", alors là, votre responsabilité
commence — mais pas avant.
(Regardant un disciple) Sa langue le démange !
Sri Aurobindo a dit : "La Guîtd [...] hésite à la frontière du
mental spirituel le plus haut et ne la traverse pas pour entrer
dans les splendeurs de la Lumière supramentale."
(La Synthèse des Yoga, Vol. I, p. 138)
Pourquoi, en suivant la Guîtd, n'attrape-t-on pas la vérité
centrale pour arriver sur la voie du yoga supra-mental?
Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Mais il y a beaucoup
de gens qui croient aussi qu'ils suivent le yoga de Sri
Aurobindo et qui n'atteignent pas la vérité supra-mentale.
Cela ne dépend pas beaucoup du chemin que l'on suit;
cela dépend de la capacité que l'on a.
Mais je demande : la vérité centrale est la soumission au
Seigneur, pourquoi n'attrape-t-on pas cela? "... son haut
mystère de soumission absolue au divin Guide, Seigneur et
Habitant de notre nature, est le secret central."
(La Synthèse des l'aga, Vol. I, p. 138) Mais oui,
c'est ce qui est décrit dans la Guîtâ, que vous
devez vous donner entièrement. N'est-ce pas, dans la Guîtâ,
Krishna est le Guide et le Maître intérieur, et vous devez
vous donner entièrement à Lui, faire une soumission totale
— et alors? Je vous dis, les gens professent un enseignement
ou un autre, mais ils ne sont pas capables
toujours de le suivre; ils vont jusqu'à un certain point, ils
s'arrêtent.
Je ne comprends pas votre difficulté. Vous voulez dire
que ceux qui sont convaincus de la vérité de l'enseignement
de la Guîtâ ne réalisent pas cet enseignement?
L'enseignement de la soumission.
Oui, enfin l'enseignement qui est contenu dans la Guîtâ
— et cela vous étonne? Mais il y a de par le monde des
quantités innombrables de gens qui sont convaincus de la
vérité d'un enseignement, mais cela ne les rend pas capables
de le réaliser. Par exemple, tous les bouddhistes, les
millions de bouddhistes qui sont dans le monde et qui
professent que le bouddhisme est la vérité, est-ce que cela
les rend capables de devenir comme un Bouddha? Certainement
pas. Alors qu'est-ce qu'il y a là d'étonnant?
Je vous ai dit pourquoi il y a des gens qui acceptent
cela, même après avoir lu et étudié Sri Aurobindo. Pourquoi
ils acceptent, ils tiennent, ils s'accrochent à cet enseignement
de la Guîtâ, c'est parce que c'est confortable, on
n'a pas besoin de faire d'efforts pour changer sa nature : la
nature est inchangeable, par conséquent vous n'avez pas
besoin du tout de penser à la changer; simplement vous la
laissez faire, vous la regardez du haut de votre tour d'ivoire
et vous la laissez faire tout ce qu'elle veut en disant : "Ce
n'est pas moi, je ne suis pas ça."
C'est très commode, cela peut se faire très rapidement
(du moins prétendre que ce soit fait). Comme je l'ai dit,
dans la pratique on est rarement d'accord avec sa théorie; si
vous avez mal à la gorge ou que vous ayez mal à la tête, ou
que vous vous soyez écorché le pied, vous commencez à
crier ou à vous plaindre, à gémir, et par conséquent vous
n'êtes pas détaché, vous êtes tout à fait attaché et lié étroitement.
Cela, c'est un fait très humain.
Ou bien, quand quelqu'un vous dit quelque chose de
désagréable, on est bouleversé. C'est comme cela. Parce que
vous êtes étroitement attaché à la Nature, quoique vous ayez
déclaré que vous ne l'êtes pas. C'est tout.