"Si de quitter le monde et ses activités, si une libération et
une quiétude suprêmes étaient le but unique du chercheur,
ces trois grandes réalisations fondamentales'. suffiraient à
l'accomplissement de sa vie spirituelle; côncentré sur elles
seules, il pourrait laisser tomber toutes les autres
connaissances, mondaines ou divines, et, désencombré, s'en
aller dans le Silence éternel. Mais il doit tenir compte du
monde et de ses activités; il doit apprendre la Vérité divine
qui peut se cacher derrière, et réconcilier l'apparente
contradiction de la Vérité divine et de la création manifestée,
qui est le point de départ de la plupart des expériences
spirituelles."
(La Synthèse des Yoga, Vol. I , p. 175)
je ne comprends pas le sens. Pourquoi cette contradiction
est-elle le point de départ de l'expérience spirituelle?
Ce que l'on appelle ordinairement une expérience spirituelle,
c'est le besoin intense de quelque chose d'autre que
la vie dans laquelle on vit; et le plus souvent, cela s'éveille
après des difficultés ou des désappointements ou des douleurs,
des chagrins, toutes ces choses qui rendent malheureux
et en même temps éveillent l'aspiration à une
condition meilleure. C'est cela qui est généralement à la
base des expériences spirituelles : c'est une chose négative.
Le besoin positif de connaître le Divin et de s'unir à
Lui, généralement, vient beaucoup plus tard. Je dis "généralement";
il y a des exceptions, mais généralement c'est
d'abord une fuite hors des misères de la vie, qui vous pousse
vers une vie spirituelle. Il y a très peu de gens, s'ils étaient
Réalisation du Divin immanent, du Divin cosmique et du Divin
transcendant ou Nirvâna. dans un état d'harmonie parfaite
intérieurement et extérieurement,
qu'il ne leur arrivait rien de désagréable ou de
pénible, très peu de gens qui penseraient au Divin; ils ne
s'en soucieraient pas, ils s'accommoderaient de la demimesure
des choses ordinaires et ils ne rechercheraient pas
un absolu. C'est cela que Sri Aurobindo veut dire.
Mais quand on a trouvé cette vie spirituelle, on s'aperçoit
qu'elle est partout derrière les apparences, aussi bien
que directement sans apparences. Derrière les apparences,
elle existe aussi; c'est ce qu'il dit : il faut trouver, réconcilier
ces contradictions. Il y a un endroit, ou un état de
conscience, dans lequel elles se réconcilient.
Mais d'abord, il faut aller comme ça (geste ascendant), et
puis on revient comme ça (geste descendant). Voilà.
Sri Aurobindo écrit ici : "Et pourtant, en lui ou devant lui
[le chercheur], il n'y a pas seulement cette éternelle
Existence consciente d'elle-même, cette Conscience spirituelle,
cette infinitude de Force illuminée, cette Béatitude
sans fin et sans temps. Il y a aussi, d'une façon égale-ment
constante pour son expérience, un univers dans un espace et
dans un temps mesurables — peut-être une sorte de fini sans
limites —, dans lequel tout est éphémère, limité, , f
ragmentaire, ..."
(La Synthèse des Yoga, Vol. 1, p. 177)
Le `fini sans limites", qu'est-ce que cela veut dire?
C'est pour essayer de formuler quelque chose qui est
informulable.
En fait, on pourrait presque dire que les détails sont finis
et que l'ensemble est infini, mais il ne dit pas "infini" : il dit
"sans limites" — sans limites dans l'espace et sans limites
dans le temps, mais pourtant limité en soi. Chaque détail a
sa limite propre et l'ensemble n'en a pas.
Douce Mère, encore une chose que je n'ai pas comprise :
"Parfois, ces deux états de son esprit [la conscience de
l'éternité hors du temps et la conscience du monde
dans le temps] semblent exister alternativement pour lui
suivant son état de conscience; à d'autres moments, ils sont
là comme deux parties de son être, disparates et qu'il faut
réconcilier, deux moitiés de son existence, supérieure et
inférieure, ou intérieure et extérieure. Il découvre bientôt
que cette séparation dans sa conscience, a un immense
pouvoir libérateur, car, grâce à elle, il n'est plus lié à
l'Ignorance, à l'Inconscience,..."
(La Synthèse des Yoga, Vol. I, pp. 1.77-78)
je n'ai pas compris cela.
C'est parce que l'on porte cette division en soi et parce
que l'on peut goûter d'une vie éternelle que la vie extérieure
vous paraît irréelle; et par conséquent, c'est à cause de cette
contradiction que l'on commence à faire le nécessaire pour
passer de la vie extérieure à la vie divine. S'il n'y avait pas
de contradiction dans l'être, si l'on était un moyen terme
entre les deux, comme ça, cela pourrait durer indéfiniment;
on n'objectiverait pas sa difficulté et son besoin, on
continuerait à vivre comme on vit, sans réfléchir, par
habitude.
C'est à cause de cette contradiction aussi qu'il y a une
partie de l'être qui prend l'habitude de surveiller l'autre.
Autrement, on vivrait sans même s'apercevoir de ce que l'on
fait, automatiquement.
(S'adressant à un disciple) Quelque chose par là?
Pourquoi : "Tout ce qui est hors du temps fait pression
pour entrer dans le jeu du Temps; tout ce qui est dans le
Temps tourne autour de l'Esprit hors du temps" ?
(La Synthèse des Yoga, Vol. I, pp. 178-79)
Parce que c'est comme ça, mon enfant. Tout cc qui est
non manifesté veut se manifester, et tout ce qui est
manifesté essaye de retourner à son Origine.
C'est comme si tu me demandais : "Pourquoi la terre
est-elle ronde et pourquoi est-ce qu'il y a un soleil et des
planètes?" C'est comme ça, c'est la Loi de l'univers qui est
comme cela.
La plupart de ces choses sont simplement des constatations
de faits; mais il n'y a pas d'explications, parce que
l'on ne peut pas donner d'explications mentales. On peut en
donner, mais chaque chose que l'on veut expliquer
s'explique par une autre, qui doit s'expliquer par une autre,
qui doit s'expliquer par une autre — indéfiniment. Et tu
peux faire le tour de l'univers, et chacune expliquant l'autre,
ça n'explique rien du tout.
La seule chose que l'on puisse faire, c'est de dire : c'est
comme ça.
C'est pour cela que l'on dit que le mental ne peut rien
savoir : il ne peut rien savoir parce qu'il a besoin d'explications.
Une explication n'a de valeur que dans la mesure où
elle vous donne un pouvoir pour agir sur la chose que l'on
explique; autrement, à quoi cela sert? Si, en expliquant
quelque chose, cela ne vous donne pas le pouvoir de la
changer, c'est absolument inutile, parce que, comme je l'ai
dit, l'explication que vous donnez nécessite une autre
explication, et ainsi de suite. Mais si, par une explication,
vous obtenez un pouvoir sur une chose, pour la rendre
différente de ce qu'elle est, alors cela vaut la peine. Mais ce
n'est pas le cas. Ça, c'est encore tourner en rond comme ça,
sur une surface, au lieu de s'élancer en l'air vers une hauteur
nouvelle.
C'est tout?
(Se tournant vers un disciple) Oui, oui, vous l'avez déjà posée
votre question, mais enfin, vous pouvez la poser à haute
voix si vous voulez.
Sri Aurobindo parle d'une première réalisation où l'on voit,
d'une part, l'Existence éternelle, Brahman, et d'autre part,
l'existence du monde, M4yd, comme deux contradictions;
puis il y a une autre réalisation, supra-mentale, et il dit :
"La dualité Brahman-M4yd, autre-fois contradictoire, est
désormais deux-en-une (bi-une) et se révèle à lui [au
chercheur] comme le premier grand 'aspect dynamique
du Moi de tous les moi,..."
(La Synthèse des Toga, Vol. I , p. 179)
Quand on a réalisé cela, est-ce que cela veut dire que
notre nature inférieure a consenti à changer? Est-ce que, à
ce moment-là, on voit que la dualité est deux-en-un?
Évidemment, je ne comprends pas votre question.
jusqu'ici, il y a cette dualité dont il a parlé. C'est une
apparence, ce n'est pas un fait.
Quand on réalise que cette dualité n'existe pas...
Cela veut dire que l'on est passé derrière les apparences,
qu'on a constaté un fait qui était toujours là.
Est-ce que c'est une promesse?
Mais enfin, quand on a fait un progrès, on a fait un
progrès ! Je ne comprends pas votre question. Si vous faites
un progrès, vous faites un progrès; si vous apercevez une
chose vraie derrière une illusion, généralement c'est
considéré comme un progrès.
Mais ici, il explique encore que même la nature inférieure...
Oui, mais comme vous avez reconnu que c'est une
seule et même chose... C'est ce que je disais tout à l'heure :
quand vous avez une explication, est-ce que cela suffit à
changer votre nature extérieure? Est-ce qu'elle a changé,
est-ce que vous êtes différent de ce que vous étiez dans
votre être extérieur?
Non.
Non. Alors, il faut quelque chose de plus. C'est ce que
je voulais dire; une explication ne suffit pas, il faut autre
chose. Évidemment, c'est un progrès de savoir quelque
chose quand on ne le savait pas, mais à moins que cette
connaissance ne devienne dynamique et ne se change en un
pouvoir de transformation, cela ne sert pas à grand-chose.
Compris? Bon.
(S'adressant à un enfant) Tu veux poser une question? Dis,
un peu de courage.
Douce Mère, comment peut-on augmenter la compréhension?
La compréhension? Eh bien, c'est en augmentant la
conscience, c'est en allant au-delà du mental, en élargissant
sa conscience, en approfondissant sa conscience, en touchant
des régions qui sont par-delà le mentàl.
Au moment de la première publication de cet
Entretien, en 1962, Mère a ajouté le commentaire
suivant à la dernière question :
J'ajouterais maintenant une chose : c'est l'expérience.
Changer la connaissance en expérience. Et l'expérience
vous conduit automatiquement à une autre expérience.
Mais par "expérience", j'entends tout autre chose que
ce que l'on entend d'habitude. Ce n'est pas faire l'expérience
de cc que l'on sait — ça, c'est entendu —, mais au lieu de
savoir et de connaître (même une connaissance très
supérieure à la connaissance mentale, même une
connaissance très intégrale), c'est devenir le pouvoir qui
fait que ça est. Au fond, c'est devenir le Tapas des choses —
le tapas de l'univers.
On dit toujours qu'au début de la Manifestation, il y a
Satchiddnanda, et on le met dans .cet ordre : d'abord Sat, c'està-
dire l'Existence pure; puis Tchit, la prise de Conscience de
cette Existence; et Ananda, la Joie de l'Existence, qui fait
que ça continue. Mais entre ce Tchit et cet Ânanda, il y a
Tapas, c'est-à-dire le Tchit qui se réalise. Et quand on devient
ce tapas-là, le tapas des choses, alors on a la connaissance
qui donne le pouvoir de changer. Le tapas des choses, c'est
ce qui gouverne leur existence dans la Manifestation.
Quand on est là, on a le sentiment d'une puissance si
formidable! C'est la puissance universelle. On a le sentiment
de la maîtrise totale de l'univers.