"Si nous voulons tenter un yoga intégral, autant partir d'une
idée du Divin qui soit elle-même intégrale. Il faut une
aspiration assez vaste dans le coeur pour que la réalisation
soit sans étroites limites. Non seulement nous devons éviter le
point de vue religieux sectaire, mais toutes les conceptions
philosophiques exclusives qui veulent enfermer l'Ineffable
dans une formule men-tale rétrécissante."
(Sri Aurobindo, La Synthèse des roga, Vol. I, p. 119)
Douce Mère, qu'est-ce que Sri Aurobindo entend par une
"idée intégrale du Divin"?
Chacun se fait une idée du Divin selon son goût personnel,
ses possibilités de compréhension, ses préférences mentales
et même ses désirs. On se fait l'idée du Divin que l'on veut,
du Divin que l'on désire rencontrer, et alors naturellement
on limite considérablement sa réalisation.
Mais si l'on peut arriver à comprendre que le Divin est
tout ce que nous pouvons concevoir, et infiniment plus,
nous commençons à nous acheminer vers l'intégralité.
L'intégralité est une chose extrêmement difficile pour une
conscience humaine, qui ne commence à être consciente
qu'en limitant. Mais enfin avec un petit effort, pour ceux qui
savent jouer avec les activités mentales, il est possible de
s'élargir suffisamment pour approcher de quelque chose
d'intégral.
Tu te fais une idée du Divin, n'est-ce pas, qui s'accorde à
ta propre nature et à ta propre conception. Alors, si tu veux
sortir un peu de toi-même et tâcher de faire justement un
yoga intégral, il faut que tu essayes de comprendre que le
Divin n'est pas seulement tel que tu Le penses ou tel que
tu Le sens, mais qu'Il est aussi comme Le pensent et Le
sentent tous les autres — et en plus, quelque chose que personne
ne peut penser et ne peut sentir.
Alors si tu comprends cela, tu as mis le premier pas sur
le chemin de l'intégralité.
Instinctivement, et sans même s'en rendre compte, les
gens s'obstinent à vouloir que le Divin s'accorde à leurs
conceptions. Parce que tout spontanément, s'ils ne réfléchissent
pas, ils vous disent : "Oh! ça, c'est divin; ça, ce ne
l'est pas!" Qu'est-ce qu'ils en savent? Et puis, il y a ceux qui
n'ont pas encore mis le pas sur le chemin, qui arrivent ici et
qui voient les choses, ou qui voient les gens, et qui vous
disent : "Cet Ashram n'a rien à voir avec le Divin, ce n'est
pas du tout divin." Mais si on leur de-mande : "Qu'est-ce qui
,est divin?", ils seraient bien embarrassés de le dire; ils n'en
savent rien. Et moins on sait, plus on juge; c'est un fait
absolu. Plus on sait, moins on peut prononcer de jugements
sur les choses.
Et il y a un moment où tout ce que l'on peut faire, c'est
une constatation; mais juger, c'est impossible. On peut voir
les choses, les voir comme elles sont, dans leurs relations et
à la place qu'elles occupent, avec la conscience de la
différence entre la place qu'elles occupent et celle qu'elles
devraient occuper (parce que, cela, c'est le grand désordre
dans le monde), mais on ne juge pas. Simple-ment on voit.
Et il y a un moment où l'on serait incapable de dire : "Ça,
c'est divin et ça, ce ne l'est pas", parce qu'il y a un moment
où l'on perçoit tout l'univers d'une façon si totale et
compréhensive qu'à vrai dire il est impossible d'en retirer
quelque chose sans tout déranger.
Et encore un ou deux pas de plus, et on sait d'une façon
certaine que ce qui nous choque comme étant une
contradiction du Divin, ce sont tout simplement des choses
qui ne sont pas à leur place. Il faut que chaque chose soit
exactement à sa place, et en plus, qu'elle soit assez souple,
assez plastique pour admettre, dans une organisation
harmonieuse, progressive, tous les éléments nouveaux qui
s'ajoutent constamment à l'univers manifesté. L'univers est
en perpétuel mouvement de réorganisation intérieure et en
même temps il s'agrandit, pour ainsi dire, ou se complique
de plus en plus, devient de plus en plus complet, de plus en
plus intégral— et cela, indéfiniment. Et à mesure que les
éléments nouveaux se manifestent, toute la réorganisation
doit être refaite sur une base nouvelle, ce qui fait qu'il n'est
pas une seconde où tout ne soit dans un mouvement
perpétuel. Mais si le mouvement est selon l'ordre divin, il est
harmonieux, si parfaitement harmonieux qu'il n'est presque
pas perceptible, qu'il est difficile de le percevoir.
Maintenant, si l'on redescend de cette conscience vers .
une conscience plus extérieure, naturellement on commence
à sentir d'une façon très précise les choses qui vous aident à
atteindre à la vraie conscience et celles qui barrent le
chemin, ou qui tirent en arrière, ou qui même luttent contre
l'avance. Et alors le point de vue change et on est obligé de
dire : ceci est divin, ou ceci aide vers le Divin ; et cela est
contre le Divin, c'est l'ennemi du Divin.
Mais c'est un point de vue pragmatique, pour l'action,
pour le mouvement dans la vie matérielle— parce que l'on
n'a pas encore atteint à la conscience qui dépasse tout cela;
parce qu'on n'est pas arrivé à cette perfection intérieure qui
fait que l'on n'a plus à lutter parce qu'on a dépassé la zone
de la lutte, ou le temps de la lutte, ou l'utilité de la lutte.
Mais avant cela, avant d'arriver à cet état-là dans sa
conscience et dans son action, il y a nécessairement lutte; et
s'il y a lutte, il y a choix; et pour le choix, il faut le
discernement.
Et le plus sûr moyen d'avoir le discernement, c'est une
soumission consciente, volontaire et aussi totale que possible
à la Volonté et à la Direction divines. Alors, on ne
risque pas de se tromper... et de prendre des fausses lumières
pour des vraies.
Douce Mère, Sri Aurobindo dit ici : "En lui, sont l'Amour
et la Béatitude de l'Amant divin infini qui attire toutes
choses par leur propre chemin vers son heureuse unité."
(La Synthèse des l'aga, Vol. I, p. 121)
Toutes les choses sont attirées par le Divin. Les forces
hostiles aussi sont attirées par le Divin?
Cela dépend du point de vue, on ne peut pas dire cela.
Parce qu'il y a une attraction potentielle, mais tellement
voilée et tellement secrète qu'on ne peut même pas la reconnaître
comme une chose existante.
Dans la matière, qui a une apparence d'inertie (c'est
seulement une apparence, mais enfin), l'attraction vers le
Divin est une possibilité plus qu'un fait; c'est-à-dire que
c'est quelque chose qui se développera, mais qui n'existe pas
encore d'une façon perceptible.
On peut dire que toute conscience, qu'elle le sache ou
non — même si elle ne le sait pas —, gravite vers le Divin.
Mais il faut qu'il y ait déjà conscience pour pouvoir affirmer
cela.
Et même parmi les êtres humains, qui pour le moment
sur la terre sont les êtres les plus conscients, il y en a une
immense majorité qui sont potentiellement attirés vers le
Divin, mais qui n'en savent rien; et il y en a même qui
délibérément refusent cette attraction. Peut-être que dans
leur refus, derrière lui, il y a quelque chose qui se prépare;
mais ce n'est ni volontairement ni sciemment.
Et alors, (s'adressant à l'enfant) quelle était la fin de ta
question?... D'abord, tu postules une chose qui n'est pas
correcte, et là-dessus tu poses une question qui naturellement
ne tient pas debout, parce que le postulat n'était pas
correct.
je voulais dire...
Oui, oui, je sais très bien ce que tu veux dire.
En fait, finalement, tout sera attiré par le Divin. Seulement,
il y a des chemins directs, et il y a des chemins en
labyrinthe où l'on semble s'éloigner pendant très long-temps
avant de se rapprocher. Et il y a des êtres qui ont choisi le
chemin en labyrinthe, et qui ont l'intention d'y rester aussi
longtemps qu'ils peuvent. Alors, apparemment, ce sont des
êtres qui luttent contre le Divin.
Quoique ceux qui sont d'une nature supérieure savent
très bien que c'est une lutte absolument vaine et inutile, sans
issue; mais ils prennent plaisir à le faire. Même si cela doit
les mener à la destruction, ils ont décidé qu'ils le feraient.
Il y a des êtres humains aussi qui se livrent au vice — un
vice ou un autre, comme les boissons alcooliques ou les
piqûres anesthésiques — et qui savent très bien que cela les
conduit à la destruction et à la mort. Mais ils choisissent de
le faire, sciemment.
Ils n'ont pas le contrôle d'eux-mêmes.
Il y a toujours un moment où tout le monde a le contrôle.
Et si l'on n'avait pas dit oui une fois, si l'on n'avait pas pris
la décision, on ne le ferait pas.
Il n'y a pas un corps humain qui n'ait l'énergie et la
capacité de résister à une chose qui lui est imposée — si on
le laisse faire. Les gens qui vous disent : "Je ne peux pas
faire autrement", c'est parce qu'au fond d'eux-mêmes, ils ne
veulent pas faire autrement; ils ont accepté d'être les
esclaves de leur vice. Il y a un moment où l'on accepte.
Et je vais plus loin, je dis : il y a un moment où l'on
accepte d'être malade. Si l'on n'acceptait pas d'être malade,
on ne le serait pas. Seulement, les gens sont telle-ment
inconscients d'eux-mêmes et de leurs mouvements intérieurs
qu'ils ne s'aperçoivent même pas de ce qu'ils font.
Mais tout dépend de la façon dont on regarde les choses.
D'un certain point de vue, il n'est rien qui soit totalement
inutile dans le monde. Seulement, les choses qui étaient
tolérables et admissibles à un certain moment ne le sont plus
à un autre. Et quand elles ne deviennent plus admissibles, on
commence à dire qu'elles sont mauvaises, parce que, alors,
une volonté s'éveille de les chasser. Mais dans l'histoire
universelle (on peut même dire dans l'histoire terrestre, pour
réduire le problème à notre petite planète), je pense que
toutes les choses qui existent ont eu leur nécessité et leur
importance à un moment donné. Et c'est à mesure que l'on
avance que ces choses sont repoussées ou remplacées par
d'autres qui appartiennent à l'avenir au lieu d'appartenir au
passé. Alors, des choses qui n'ont plus de raison d'être, on
dit : "Elles sont mauvaises", parce qu'on essaye de trouver
en soi un levier pour les repousser, pour rompre avec
l'habitude. Mais peut-être qu'à un moment donné elles
n'étaient pas mauvaises et que c'étaient d'autres choses qui
l'étaient.
Il y a des manières d'être, des manières de sentir, des
manières de faire que l'on tolère dans son être pendant fort
longtemps et qui ne vous gênent pas, qui ne vous paraissent
pas du tout inutiles ou mauvaises, ou à éliminer. Et puis tout
d'un coup, un jour, on ne sait pas pourquoi ni ce qui est
arrivé, mais la façon de voir change, on les regarde et on dit
: "Mais comment! ça, c'est en moi? je porte ça en moi? Mais
c'est intolérable, mais je n'en veux plus!" Et cela vous paraît
tout à coup mauvais, parce que c'est le
moment de les rejeter, parce qu'elles ne s'accordent pas à
l'attitude que vous avez prise ou au pas que vous avez fait, à
votre marche en avant dans le monde. Ces choses-là
devraient être ailleurs, elles ne sont plus à leur place, donc
vous les trouvez mauvaises. Mais peut-être que ces mêmes
choses qui vous paraissent mauvaises seraient excellentes
pour d'autres gens qui sont à un degré inférieur.
Il y a toujours plus sombre, plus inconscient, plus mauvais,
plus ignorant que soi. Alors l'état qui pour vous est
intolérable, que vous ne pouvez plus garder, qui doit s'en
aller, serait peut-être très lumineux pour ceux qui sont à des
échelons en bas. De quel droit allez-vous dire : "C'est
mauvais." On peut seulement dire : "Je n'en veux plus. Je
n'en veux plus, ça ne va pas avec ma manière d'être actuelle,
moi je veux aller à un endroit où ces choses n'ont plus de
place; elles ne sont plus à leur place, qu'elles aillent prendre
une place ailleurs !" Mais on ne peut pas juger. Il est
impossible de dire : "C'est mauvais." On peut tout au plus
dire : "C'est mauvais pour moi, ce n'est plus à sa place avec
moi, ça doit s'en aller." C'est tout. Et on le laisse tomber sur
le chemin.
Et cela facilite beaucoup, beaucoup le progrès, de penser
et de sentir comme cela, au lieu de s'asseoir en désespoir et
de se dire toutes sortes de choses lamentables, et comment
on est et la misère que l'on porte et les défauts que l'on a et
les impossibilités qui vous assaillent et tout cela. On dit :
"Non, non, ces choses-là ne sont plus à leur place ici,
qu'elles s'en aillent ailleurs, là où elles seront à leur place et
les bienvenues. Moi, j'avance, je vais gravir un échelon,
j'irai vers une lumière plus pure, et meilleure, et plus totale;
et alors toutes ces choses qui aiment l'obscurité, elles
doivent s'en aller." Mais c'est tout.
Chaque fois que l'on voit en soi quelque chose qui nous
paraît vraiment vilain, eh bien, cela prouve que l'on a fait un
progrès. Alors au lieu de se lamenter et de se désespérer,
on doit être content, on dit : "Ah! c'est bon, je
marche."
Mère, que veut dire un `Yoga puissant"?
Un yoga puissant? Vous ne savez pas ce que veut dire
puissant?
Mais ici Sri Aurobindo dit : "...cette préparation intellectuelle
peut être la première étape d'un puissant yoga,
mais elle n'est pas indispensable".
(La Synthèse des Yoga, Vol. I, p. 118)
Oui. Un yoga puissant, c'est un yoga très complet, qui
contient beaucoup de choses, qui embrasse beaucoup d'éléments.
Alors cet élément de connaissance intellectuelle rend
le yoga plus puissant.
Est-ce la même chose que le yoga intégral?
Pas tout à fait. Un yoga intégral, c'est celui qui comporte
toutes les parties de l'être et toutes les activités de l'être.
Mais les activités de l'un ne sont pas aussi puissantes que les
activités de l'autre; et l'intégralité de l'un n'est pas aussi
totale que l'intégralité de l'autre. Vous ne comprenez pas?
Si tout votre être, tel qu'il est, participe au yoga, c'est
pour vous un yoga intégral. Mais votre participation peut
être très faible et très médiocre à côté de celle d'un autre, et
le nombre d'éléments de conscience que vous contenez peut
être minime à côté des éléments de conscience conte-nus
dans un autre. Et pourtant votre yoga est intégral pour vous,
c'est-à-dire qu'il est fait dans toutes les parties et toutes les
activités de votre être.
Moi, j'avais un chat qui faisait le yoga. Eh bien, le yoga du chat
ne pouvait pas être aussi puissant que le yoga
de l'homme, et pourtant il était aussi intégral, il était tout
entier; même son corps participait à son yoga. Mais sa
manière, naturellement, n'était pas humaine.
Mère, que veut dire "l'idée-force dynamique"?
C'est une idée qui vous donne de la volonté, de l'enthousiasme
et un pouvoir de réalisation. Une chose dynamique
est ce qui tend vers la réalisation et qui vous donne l'élan
vers la réalisation.
Ici, Sri Aurobindo écrit : "Cependant, plus l'idée-force qui
anime la consécration est grande et large, mieux cela vaut
pour le chercheur."
(La Synthèse des Yoga, Vol. I, p. 119)
Vous n'avez jamais senti la différence entre une petite
idée et une grande idée, une idée étroite et une idée large?
Mais avant, Sri Aurobindo a dit que, si c'est accompagné
par le don de soi, cela suffit. Après, il dit : mais si c'est
large, c'est mieux.
Écoutez, je vais vous donner un exemple tout à fait
concret et matériel. Vous faites le don de votre portemonnaie;
il contient trois roupies. Votre voisin fait le don de
son porte-monnaie qui en contient cinquante. Eh bien, le don
de cinquante roupies est plus large que le don de trois. C'est
tout.
Mais au point de vue moral, si vous avez donné tout ce
que vous avez, vous avez fait le maximum de ce que vous
pouvez faire, rien de plus ne peut vous être demandé; vous
comprenez, au point de vue moral, au point de vue spirituel
pur, pas au point de vue de la réalisation. Au point de vue spirituel
pur, le don de vos trois roupies a exactement
la même valeur que le don des cinquante roupies. Et même,
celui qui avait cinquante roupies, s'il en a réservé une, son
don est moins intégral et moins pur que le vôtre où vous ne
donnez que trois. Par conséquent, ce n'est pas sur ce plan-là
qu'il faut voir la chose. Mais au point de vue de la
réalisation matérielle, il est indéniable que cinquante est
plus que trois, pour tous ceux qui savent les mathématiques
!
(silence)
Mère, le message que tu as donné cette année, tu expliques
un peul ?
Le message que j'ai donné cette année, qu'est-ce que tu
lui reproches!
Est-ce que cela implique qu'il y aura de grandes victoires
cette année?
Cela veut peut-être dire une chose très simple : qu'il
vaut mieux laisser les choses se faire sans en parler. Moi,
je crois que c'est cela que ça veut dire. Qu'il est très préférable
de ne rien dire de ce qui sera avant que ce ne soit.
Autrement, c'est ce que j'appelle des coups de tambour, ce
qu'on pourrait appeler du "battage".
C'est comme ceux qui demandent : "Comment est-ce
que ce sera?" On verra bien! Attendez, il faut au moins
avoir la surprise!... Et je leur réponds : "Je n'en sais rien."
Parce que je me mets immédiatement dans la conscience du
monde tel qu'il est, à qui on annonce qu'il va se passer des
1 Il s'agit du message de l'année 1956: "Les plus grandes
victoires sont celles
qui font le moins de bruit. La manifestation d'un morde
nouveau ne s'annonce pas à coups de tambour."
choses extraordinaires, et qui est tout à fait incapable de les
imaginer — parce que je vous ai dit une fois que, si l'on
commence à les imaginer, cela veut dire que c'est déjà là.
Pour que vous soyez capables d'imaginer quelque chose, il
faut que cela existe, autrement vous ne pouvez pas l'imaginer.
Oui, dans notre être supérieur, nous pouvons avoir une
perception très claire, très exacte, très lumineuse de ce que
c'est. Mais si l'on descend dans la conscience matérielle, on
est obligé de dire : "Eh bien, je n'en sais rien." Quand ce
sera là, je vous dirai comment ce sera — et je n'aurai même
pas besoin de vous le dire probablement, vous pourrez le
voir. J'espère que vous ferez partie de ceux qui pourront le
voir. Parce que cela encore, il y en a qui ne le pourront pas.
Et alors, à quoi cela sert? À quoi cela sert d'aller dire
aux gens : "C'est là, vous savez, c'est comme ça." Ils vous
répondent comme dans cette pièce que l'on a jouée : "Mais
moi, je ne vois rien!" Vous vous rappelez, c'était dans Le
Sage? Vous ne vous rappelez pas de cela, dans Le Sage, le
messager qui dit que le Divin est là qui vous écoute, qu'Il
est présent? Et alors, quelqu'un répond : "Mais je ne le vois
pas!" Et c'est comme cela.
C'est comme les gens qui viennent visiter l'Ashram et
qui disent : "Mais il n'y a pas de spiritualité ici!"...
Comment est-ce qu'ils pourraient la voir? Avec quels
organes?
Mais enfin, j'ai bon espoir que, quand quelque chose se
manifestera, vous serez capables de le percevoir.
Naturellement, si tout d'un coup il y avait des apparitions
lumineuses, ou que les formes physiques extérieures
changeaient complètement, alors là, je crois même qu'un
chien ou un chat, ou n'importe quoi s'en apercevrait. Mais
cela, ça prendra du temps, ce n'est pas pour tout de suite.
Ce n'est pas pour tout de suite, c'est pour plus loin, beaucoup
plus tard. Beaucoup de grandes choses auront
lieu avant cela, et qui seront beaucoup plus importantes
que cela, notez.
Parce que cela, c'est seulement la fleur qui s'épanouit.
Mais avant qu'elle s'épanouisse, il faut que le principe de
son existence soit dans la racine de la plante.
S'il y a quelque manifestation, est-ce que ce sera pure-ment
spirituel, c'est-à-dire que seulement les gens qui font le yoga
pourront le percevoir, ou est-ce qu'il y aura des
conséquences dans le monde actuel?
Mon petit, pourquoi mets-tu cela au futur?
Il y a déjà, depuis des années, des conséquences extraordinaires,
fantastiques, dans le monde. Mais pour le voir,
il faut savoir un peu; autrement, on prend cela pour des
choses tout à fait normales et ordinaires parce que l'on ne
sait même pas comment cela se produit.
Alors, ce sera peut-être exactement la même chose; il
pourra y avoir des changements formidables, des actions
fantastiques et, mon Dieu, on dira : "Mais ça, naturellement,
c'est comme ça." Parce que l'on ne sait pas comment
cela se passe.
Une action dans le monde? C'est constant. C'est quelque
chose qui se répand et qui agit partout, qui donne
partout des impulsions nouvelles, des orientations nouvelles,
des idées nouvelles, des volontés nouvelles — partout.
Mais enfin, comme on ne voit pas comment cela se
fait, on pense que c'est ce que l'on appelle "tout naturel".
C'est tout naturel. Mais d'un autre naturel que celui de la
Nature physique ordinaire.
Au fond, il est assez logique de dire qu'il faut être conscient
de l'Esprit pour s'apercevoir du travail de l'Esprit. Si
vous n'êtes pas conscient de l'Esprit, comment pouvezvous
Le voir travailler? Parce que le résultat de ce que l'Esprit fait
est nécessairement matériel, dans le monde
matériel; et étant matériel, vous le trouvez tout naturel.
Qu'est-ce que vous savez de ce que la Nature fait, et qu'estce
que vous savez de ce que l'Esprit fait? Tout ce que la
Nature fait — je parle de la Nature matérielle —, on en sait
très peu, presque rien, puisqu'on doit tout le temps apprendre
des choses qui bouleversent tout ce que l'on croyait
savoir auparavant. Et alors, comment distinguer ce qui est
l'oeuvre de la Nature pure et l'oeuvre de l'Esprit à travers la
Nature? Il faudrait savoir les distinguer l'un de l'autre. Et
comment les distinguer quand on n'a pas une conscience
tout à fait limpide et certaine de ce que c'est que l'Esprit?
Comment Le reconnaître, et comment voir Son Travail?
Cela me paraît d'une logique très simple.
Le monde continuera. Les choses se passeront. Et il y
aura peut-être une poignée d'hommes qui sauront comment
elles ont été faites. C'est tout.
Et si l'on était, à l'heure actuelle, précipité soudainement,
sans transition, dans ce que le monde était — mettons
deux ou trois mille ans auparavant; oh! même moins
que cela peut-être — mille ou deux mille ans auparavant,
ce serait une comparaison tellement suffocante qu'il est
probable que très peu de gens pourraient y résister. Mais
comme cela s'est fait "comme ça", avec l'aimable lenteur
de la Nature, avec toutes ses fantaisies, on trouve cela tout
à fait naturel et on ne s'en aperçoit même pas.
Ce n'est pas une image, ce n'est pas de la littérature
quand on dit que, si l'on entre dans la conscience vraie, si
l'on change la conscience, eh bien, le monde lui-même
change pour vous. Et ce n'est pas seulement une apparence
ou une impression : on voit autre chose que ce que l'on
voit dans la conscience ordinaire; les relations sont
différentes, les causes sont différentes, les effets sont différents.
Et au lieu de percevoir seulement quelque chose qui
n'est pas transparent (on ne voit pas derrière, c'est une surface,
une croûte; c'est seulement cela qu'on voit, et on ne
voit même pas ce qui meut ça, ce qui le fait exister), tout se
renverse, et c'est cela qui paraît artificiel et irréel, et presque
inexistant. Et alors, quand on voit les choses de cette façonlà,
d'une façon normale, n'est-ce pas, sans se forcer, sans être
obligé de faire des méditations et des concentrations et des
efforts formidables pour voir les choses comme cela, quand
c'est votre vision normale naturelle, alors on comprend les
choses d'une façon totalement différente — naturellement, le
monde est différent !
Il y a un petit trajet préliminaire qui est indispensable, et
ceux qui l'ont fait, ce petit trajet préliminaire, eh bien, il y a
toutes sortes de choses, toutes sortes de spéculations et de
questions qu'ils ne peuvent plus se poser.
Mais vraiment, pour en revenir à notre sujet, ce que j'ai
voulu dire très simplement, c'est qu'un jour, au moment où
l'on me demandait un message... je le donne parce qu'on me
le demande, on me demande et on me dit : "Oh! nous
voulons l'imprimer, est-ce que vous ne pouvez pas nous
l'envoyer?" Alors, qu'est-ce que je fais? Je regarde l'année
qui vient (pour pouvoir en parler, il faut que je la regarde),
je regarde l'année qui vient, et puis, en la regardant, je vois
en même temps toutes les imaginations des gens, toutes leurs
spéculations et toutes leurs inventions sur ce qui va se passer
dans cette année soi-disant mer-veilleuse. Je regarde cela, et
en même temps je regarde ce qu'elle est — ce qu'elle est en
avance déjà, elle est déjà comme cela quelque part — et je
me rends compte immédiatement que la meilleure chose à
faire, c'est de ne pas dire ce qu'elle sera. Et comme les gens
s'attendent à beaucoup de fanfares et de proclamations, je dis
ce que j'ai dit, c'est tout. Rien de plus. C'est tout ce que je
voulais dire : "N'en parlons pas, voulez-vous, cela vaut
mieux, c'est préférable." Je n'ai pas dit autre chose que cela :
"Il vaut mieux ne pas en parler, ne faites pas beaucoup de
bruit à propos de cela, parce que cela n'aide pas.
Laissez les choses se passer selon une loi plus profonde,
sans avoir l'ahurissement
de celui qui ne sait pas et qui regarde faire."
Et surtout, surtout ne venez pas dire : "Vous savez, ce
sera comme ça." Parce que ça, c'est ce qui rend la chose la
plus difficile. Je ne dis pas que ce qui doit être ne sera pas,
mais ce sera peut-être avec beaucoup plus de difficultés si
l'on en parle. Alors, il vaut mieux laisser les choses se faire.
Et après tout, si l'on veut être très sobre — très sobre —
il n'y a qu'à se demander : "Eh bien, dans dix mille ans,
cette réalisation que nous sommes en train de faire, qu'estce
que ce sera?... Un point imperceptible dans la marche du
temps, une préparation, une tentative pour les réalisations
futures." Oh! il vaut mieux ne pas s'emballer. Faisons tout
ce que nous pouvons et tenons-nous tranquilles. C'est tout.
Maintenant, il y a des gens qui ont besoin qu'on les
fouette, comme on fouette la crème. Mais il faut s'adresser
aux poètes, pas à moi. Je ne suis pas un poète, je me
contente de faire. J'aime mieux faire que parler.