X a fait un rêve plutôt mauvais : elle arrivait dans une
maison sur laquelle on devait veiller, et personne n'avait
veillé; des ennemis étaient entrés. X est entrée dans cette
maison, elle a trouvé une chambre où était Sri Aurobindo et
Sri Aurobindo avait été blessé au pied, il gémissait. Il avait
été blessé par les adversaires que l'on avait laissés pénétrer
dans la maison. Voyant Sri Aurobindo blessé, elle a couru,
couru pour te chercher.
C'est peut-être tout simplement l'image de ce qui est arrivé
le 11 févriers?
Le pied, cela veut dire quelque chose de physique. Je
crois que c'est cela, c'est seulement l'image symbolique
de ce qui est arrivé.
Ce n'est pas quelque chose qui va se produire?
Prémonitoire? Non.
Le pied, c'est son action physique à travers certaines
gens ou à travers l'Ashram ou à travers moi.
Je ne crois pas que ce soit sérieux. C'est l'image de ce
qui a eu lieu, qui s'est enregistrée quelque part.
(silence)
C'est un développement assez curieux. Depuis quelque
temps, mais d'une façon de plus en plus précise, quand
j'entends quelque chose, qu'on me lit quelque chose, ou
quand j'écoute de la musique, que quelqu'un me raconte un
fait, je sens tout de suite l'origine de l'activité ou le
i
L'Ashram a été attaqué par des émeutiers. Plusieurs bâtiments
ont été pillés et incendiés.
plan sur lequel elle se passe ; ou l'origine de l'inspiration se
traduit automatiquement par une vibration dans l'un des
centres. Et alors, suivant la qualité de la vibration, c'est une
chose constructive ou négative, et quand cela touche si peu
que ce soit, à un moment donné, à un domaine de Vérité, il
y a.:. comment dire... comme l'étincelle d'une vibration
d'Ânanda. Et la pensée est absolument silencieuse, immobile,
rien — rien (Mère ouvre les mains vers le haut dans un geste
d'offrande totale). Mais cette perception devient de plus en
plus précise. Et je sais comme cela— je sais d'où vient
l'inspiration, où se situent l'action et la qualité de la chose.
C'est d'une précision! oh! infinitésimale, de détail. La
première fois que j'ai senti cela d'une façon claire, c'était
lorsque j'ai entendu la musique composée pour "The Hour
of God"; c'était la première fois, et à ce moment-là je ne
savais pas que c'était quelque chose de tout organisé, une
sorte d'organisation d'expérience. Mais maintenant, après
tous ces mois, cela s'est classé et c'est pour moi une
indication absolument sûre, qui ne correspond à aucune
pensée active, aucune volonté active — simplement, je suis
une machine, infiniment délicate, de réception des vibrations.
C'est comme cela que je sais d'où viennent les choses.
II n'y a aucune pensée. C'est comme cela que m'est venue
la vibration de ce rêve (Mère fait un geste en bas, sous les pieds),
c'était dans le domaine du subconscient. Alors j'ai su qu'il
s'agissait d'un enregistrement.
Et l'autre jour, quand Y m'a lu son article, c'était
neutre (geste vague à hauteur moyenne), tout le temps neutre,
puis, tout d'un coup, une étincelle d'Ânanda; c'est cela qui
m'a fait apprécier. Et tout à l'heure, lorsque tu m'as lu ce
texte de Z, il y a eu une petite raie de lumière (geste à
hauteur de la gorge), alors j'ai su. Une raie de lumière
agréable — pas dÂnanda, mais une lumière agréable, alors
j'ai su qu'il y avait là quelque chose.
Et il y a des degrés, n'est-ce pas, c'est presque infini de
qualités.
C'est la façon qui m'est donnée d'apprécier la position
des choses.
Et tout à fait, tout à fait en dehors de la pensée. C'est
après, quand tu m'as demandé, par exemple, pour ce rêve,
j'ai dit : "Logiquement, puisque la vibration est là (geste en
bas), ce doit être un souvenir." Et avec une sorte de certitude,
parce que... parce que la perception est tout à fait
impersonnelle.
C'est un mécanisme d'une délicatesse extraordinaire, et
avec un champ de réceptivité (geste de gradation) presque
infini.
Ma façon de connaître les gens est comme cela aussi,
maintenant. Mais depuis longtemps, quand je vois une
photographie, par exemple, cela ne passe pas du tout par la
pensée, ce ne sont pas des déductions ni des intuitions —
cela crée une vibration quelque part. Et il arrive même des
choses amusantes; l'autre jour, on me donne la photographie
de quelqu'un, alors je sens très bien : d'après
l'endroit qui est touché, à la vibration qui répond, je sais
que cet homme-là a l'habitude de manier les idées et qu'il a
l'assurance de quelqu' un qui enseigne. Je demande, pour
voir : "Que fait cet homme?" On me dit : "Il fait des
affaires." J'ai dit : "Mais il n'est pas fait pour faire des
affaires, il n'y entend rien." Et trois minutes après, on me
dit . "Ah! pardon, excusez-moi, c'est un professeur!" (Mère
rit) C'est comme cela.
Et c'est constant, constant.
L'appréciation du monde, des vibrations du monde.
C'est pour cela que je t'ai demandé de me donner tes
mains, tout à l'heure — pourquoi? C'est pour avoir justement
la vibration. Eh bien, j'ai senti ce que l'on appelle en
anglais a sort of dullnessl; je me suis dit : "Ça ne va pas."
1
Une sorte de lourdeur.
Et aucune pensée, rien, simplement comme cela (Mère
reste immobile dans un geste d'offrande vers le haut).
Alors qu'est-ce qui ne va pas? (Mère rit) Oui, c'est cela,
c'est une sorte de dullness.
Oui, je suis très englouti par la matière.
C'est cela.
Ce n'est pas drôle.
Non, mais tu ne peux pas en sortir?
On est assailli. Et mon corps ne m'aide pas beaucoup non
plus.
Ah! non, le corps n'aide jamais, maintenant j'en suis
convaincue. On peut, dans une certaine mesure, aider son
corps (pas trop grande, mais enfin c'est une mesure), on
peut aider son corps; mais le corps ne vous aide pas. Toujours,
sa vibration est par terre.
Oui, c'est lourd.
Sans exception. Sans exception c'est un abaissement, et
surtout cela : c'est quelque chose qui rend terne, terne —
qui ne vibre pas.
C'est lourd.
Mais avec cette sâdhanâ que je suis en train de faire, il
y a certains fils conducteurs que l'on suit, j'ai certaines
phrases de Sri Aurobindo... Pour les autres sâdhanâ, j'avais
l'habitude : tout ce qu'il disait était clair, cela indiquait le
chemin, on n'avait pas à chercher; mais là il ne
l'a pas fait, seulement il a dit ou fait certaines remarques, de
temps en temps, et ces remarques me servent (il y a la nuit,
aussi, quand je le rencontre, mais je ne veux pas trop
compter là-dessus, parce que... on devient trop anxieux
d'avoir ce contact, et cela gâte tout). Il y a plusieurs remarques
qui me sont restées ainsi, et qui sont, oui, comme
des fils conducteurs; par exemple : "Endurer.., endurer."
Vous avez, supposons, une douleur quelque part;
l'instinct (l'instinct du corps, l'instinct des cellules) est de se
crisper et de vouloir rejeter— c'est la pire chose, cela
augmente, invariablement. Par conséquent, la première
chose à enseigner au corps est de rester immobile — n'ayez
pas de réaction. Surtout pas de crispation, mais même pas
de mouvement de rejet — une parfaite immobilité. Cela,
c'est l'égalité corporelle.
Une parfaite immobilité.
Après la parfaite immobilité, c'est le mouvement d'aspiration
intérieure (je parle toujours de l'aspiration des
cellules — j'emploie des mots pour ce qui n'a pas de mots,
mais il n'y a pas moyen de s'exprimer autrement), le
"surrender", c'est-à-dire l'acceptation spontanée et totale de la
Volonté suprême (que l'on ne connaît pas). Est-ce que la
Volonté totale veut que les choses aillent de ce côté-ci ou de
ce côté-là, c'est-à-dire vers la désintégration de certains
éléments ou vers...? Et là encore, il y a des nuances infinies :
il y a le passage entre deux hauteurs (je parle de réalisations
cellulaires, n'est-ce pas, ne pas oublier cela), je veux dire
que l'on a un certain équilibre intérieur, un équilibre de
mouvement, de vie, et il est entendu que pour passer d'un
mouvement à un mouvement supérieur, presque toujours il
se produit une descente puis une remontée — c'est une
transition. Alors, est-ce que le choc reçu vous pousse à
descendre pour remonter, ou est-ce qu'il vous pousse à
descendre pour abandonner de vieux mouvements, parce
qu'il y a des façons d'être cellulaires qui doivent disparaître
pour faire place à d'autres? Il y en a d'autres qui s'inclinent
pour remonter avec une harmonie, une organisation
supérieures. C'est le second point. Et il faut attendre et voir,
sans postuler d'avance ce qui doit être. Surtout, n'est-ce pas, il y
a le désir — le désir d'être confortable, le désir d'être en
paix, tout cela — qui doit absolument cesser, disparaître. Il
faut être absolument sans réaction, comme cela (geste, paumes
ouvertes, d'offrande immobile vers le haut). Et alors, quand on est
comme cela ("on", ce sont les cellules), au bout d'un
moment vient la perception de la catégorie à laquelle
appartient le mouvement, et il n'y a qu'à suivre, soit qu'il
s'agisse de quelque chose qui doive disparaître et être
remplacé par autre chose (que pour le moment on ne connaît
pas), soit qu'il s'agisse de quelque chose qui doive se
transformer.
Et ainsi de suite. Et c'est tout le temps comme cela.
Tout cela pour te dire que la pensée est absolument
immobile, tout se passe directement : des questions de vibration.
Eh bien, ce n'est que comme cela que l'on peut
savoir ce que l'on doit faire. Si ça passe par le mental, surtout
cette pensée physique qui est absolument imbécile,
absolument, on ne peut pas savoir; tant qu'elle marche, on est
toujours amené à faire ce que l'on ne doit pas faire, à avoir
surtout la réaction mauvaise — la réaction qui aide les forces
de désordre et d'obscurité au lieu de les contre-dire. Et je ne
parle pas de l'anxiété, parce qu'il y a extrêmement longtemps
qu'il n'y a plus d'anxiété dans mon corps — longtemps, des
années.., mais l'anxiété, c'est comme si l'on avalait une tasse
de poison.
C'est cela que l'on appelle le yoga physique.
Surmonter tout cela. Et la seule façon de le faire : à
chaque seconde, que toutes ces cellules soient (geste d'offrande
immobile vers le haut) dans une adoration, une aspiration —
une adoration, une aspiration, une adoration... et rien d'autre.
Alors, au bout de quelque temps, il y a
aussi la joie, puis cela finit par la confiance béatifique.
Quand cette confiance sera établie, tout ira bien. Mais...
c'est très facile à dire, c'est beaucoup plus difficile à faire.
Seulement, pour le moment, je suis convaincue que c'est le
seul moyen, il n'y en a pas d'autres.