La Mère commence par commenter le message
distribué pour le Darshan, le 24 novembre.
"C'est certainement une erreur de faire descendre de force
la lumière, de la tirer. Le Supramental ne peut pas être pris
d'assaut. Quand le temps sera venu, il s'ouvrira de luimême.
Mais d'abord, il y a beaucoup à faire et il faut que
ce soit fait patiemment et sans hâte."
Sri Aurobindo
C'est bon pour les gens raisonnables. On dira : "Voilà, il ne
promet pas de miracles."
Pourquoi? Beaucoup de gens ont-ils donc tendance à
"tirer"?
Les gens sont pressés, ils veulent voir les résultats tout
de suite.
Et alors, ils croient tirer le Supramental — ils tirent
quelque petite individualité vitale qui se moque d'eux et
leur fait faire de vilaines blagues après. C'est ce qui arrive
le plus souvent, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent.
Une petite individualité, une entité vitale qui joue le
grand jeu et fait des effets, des jeux de lumière; alors le
pauvre bougre qui a tiré est ébloui, il dit : "Voilà, c'est le
Supramental" et il tombe dans un trou.
Ce n'est que lorsqu'on a touché, vu d'une façon quelconque
et eu un contact avec la Lumière véritable, que l'on
peut discerner le vital, et l'on s'aperçoit que c'est tout à fait
comme des jeux de lumière sur un théâtre, une lumière
artificielle. Mais autrement, les autres sont éblouis — c'est
éblouissant, c'est "magnifique", et alors ils se trompent.
Ce n'est que si l'on a vu et que l'on a eu le contact avec la
Vérité, ah! alors on sourit.
C'est du cabotinage, mais il faut savoir la vérité pour
discerner le cabotinage.
Au fond, c'est la même chose pour tout. Le vital est
comme un super-théâtre qui donne des représentations —
très attrayantes, éblouissantes, trompeuses — et ce n'est que
quand on connaît la Vraie Chose, que, immédiate-ment,
instinctivement, sans raisonnement, on discerne et on dit :
"Non, ça je n'en veux pas."
Et pour tout, n'est-ce pas. Là où cela a pris une importance
capitale dans la vie humaine, c'est pour l'amour. Les
passions vitales, les attractions vitales ont pris presque
partout la place du sentiment véritable, qui est tranquille,
tandis que cela, ça vous met en effervescence, ça vous donne
le sentiment de quelque chose de "vivant". C'est très
trompeur. Et on ne sait cela, on ne le sent, on ne le perçoit
clairement que quand on connaît la Vraie Chose; si l'on a
touché à l'amour véritable par le psychique et l'union divine,
alors cela paraît creux, mince, vide — une apparence et une
comédie, plus souvent tragique que comique.
Tout ce que l'on peut en dire, tout ce que l'on peut en
expliquer ne sert à rien du tout, parce que celui ou celle qui
est prise, dit tout de suite : "Oh! ce n'est pas comme pour les
autres." Ce qui vous arrive à vous-même, n'est jamais
comme ce qui arrive aux autres! Il faut avoir la vraie
expérience, alors tout le vital prend l'aspect d'une mascarade
pas attrayante.
Et quand on tire, c'est, oh! beaucoup plus de quatrevingt-
dix-neuf fois sur cent, c'est un cas sur un million où il
se trouve que l'on tire la Vraie Chose — cela prouve que
l'on était prêt. Autrement, c'est toujours le vital que l'on tire,
l'apparence, la représentation dramatique de la Chose, pas la
Chose elle-même.
Tirer est toujours un mouvement égoïste. C'est une
déformation de l'aspiration. L'aspiration vraie, cela comporte
un don, un don de soi, tandis que tirer, c'est vouloir
pour soi. Même si dans la pensée on a une ambition plus
vaste — la terre, l'univers —, cela ne fait rien, ce sont des
activités mentales.
(long silence)
Tu n'as rien senti de particulier le jour du Darshan?
Non.
Sri Aurobindo était là depuis le matin jusqu'au soir.
Pendant, oh! pendant plus d'une heure il m'a fait vivre
comme la vision concrète et vivante de la condition de
l'humanité et des différentes couches d'humanité par rapport
à la création nouvelle ou supramentale. Et c'était
merveilleusement clair et concret et vivant... Il y avait toute
l'humanité qui n'est plus ,tout à fait animale, qui a bénéficié
du développement mental et qui a créé une certaine
harmonie dans sa vie — une harmonie vitale et artistique,
littéraire — et dont la grande majorité vit, satisfaite de
vivre. Ils ont attrapé une sorte d'harmonie et ils vivent làdedans
la vie telle qu'elle existe dans un milieu civilisé,
c'est-à-dire un peu cultivé, avec des raffinements de goût,
des raffinements d'habitudes; et toute cette vie a une certaine
beauté où ils se trouvent à l'aise, et à moins qu'il ne
leur arrive quelque chose de catastrophique, ils sont heureux
et contents, satisfaits de la vie. Ceux-là peuvent être attirés
(parce qu'ils ont du goût, ils sont développés intellectuellement),
ils peuvent être attirés par les forces nouvelles,
les choses nouvelles, la vie future; par exemple, ils
peuvent devenir des disciples de Sri Aurobindo mentalement,
intellectuellement. Mais ils ne sentent pas du tout le
besoin de changer matériellement, et si on les y forçait,
ce serait d'abord prématuré, injuste, et cela créerait tout
simplement un grand désordre et troublerait leur vie tout à
fait inutilement.
C'était très clair.
Puis il y avait les quelques-uns — rares individus — qui
étaient prêts à faire l'effort nécessaire pour la préparation de
la transformation et pour attirer les forces nouvelles, essayer
d'adapter la Matière, chercher les moyens d'expression, etc.
Ceux-là sont prêts pour le yoga de Sri Aurobindo. Ils sont
très peu nombreux. Il y a même ceux qui ont le sens du
sacrifice et qui sont prêts à avoir une vie dure, pénible,
pourvu que cela mène ou que cela aide à cette
transformation future. Mais il ne faudrait pas, il ne faudrait
d'aucune manière qu'ils essayent d'influencer les autres et de
leur faire partager leur propre effort; ce serait tout à fait
injuste — non seulement in-juste, mais extrêmement
maladroit, parce que cela change-rait le rythme et le
mouvement universels, ou tout au moins terrestres, et au lieu
d'aider, cela produirait des conflits et aboutirait à un chaos.
Mais c'était si vivant, si réel, que toute mon attitude
(comment dire.., une attitude passive, qui n'est pas l'effet
d'une volonté active), toute la position prise dans le travail a
changé. Et cela a amené une paix une paix et une
tranquillité et une confiance tout à fait décisives. Un
changement décisif. Et même, ce qui, dans la position
précédente, paraissait être de l'obstination, de la maladresse,
(le l'inconscience, toutes sortes de choses déplorables, tout
cela a disparu. C'était comme la vision d'un grand Rythme
universel où chaque chose prend sa place et... tout est très
bien. Et l'effort de transformation réduit à un petit nombre,
devient une chose beaucoup plus précieuse et beaucoup plus
puissante pour la réalisation. C'est comme un choix qui a été
fait pour ceux qui seront les pionniers de la création
nouvelle. Et toutes ces idées de
"répandre", de "préparer" ou de baratter la Matière : des
enfantillages. C'est de l'agitation humaine.
La vision était d'une beauté tellement majestueuse et
calme et souriante, oh!... C'était plein, plein vraiment de
l'Amour divin. Et pas un Amour divin qui "pardonne" — il
ne s'agit pas de cela du tout, du tout! — chaque chose à sa
place et réalisant son rythme intérieur aussi parfaite-ment
qu'elle le peut.
C'était un très beau cadeau.
N'est-ce pas, toutes ces choses, on les sait quelque part,
intellectuellement, comme ça, dans l'idée, on sait tout cela,
mais ça ne sert à rien du tout. Dans la pratique de chaque
jour, on vit selon quelque chose d'autre, une compréhension
plus vraie. Et là, c'était comme si l'on touchait les
choses — on les voyait, on les touchait — dans leur ordonnance
supérieure.
C'était venu après une vision des plantes et de la beauté
spontanée des plantes (c'est quelque chose de si merveilleux),
puis de l'animal avec une vie si harmonieuse (quand
les hommes n'interviennent pas), et tout cela était bien à sa
place. Puis l'humanité vraie en tant qu'humanité, c'est-àdire
le maximum de ce qu'un mental équilibré peut
produire de beauté, d'harmonie, de charme, d'élégance de
la vie et du goût de vivre — du goût de vivre en beauté et
naturellement en supprimant tout ce qui est laid et bas et
vulgaire. C'était une jolie humanité. L'humanité à son
maximum, mais jolie. Et qui est parfaitement satisfaite en
tant qu'humanité, parce qu'elle vit harmonieusement. Et
c'est peut-être aussi comme une promesse de ce que la
presque totalité de l'humanité deviendra sous l'influence de
la création nouvelle. Il me paraissait que c'était ce que la
Conscience supramentale pouvait faire de l'humanité. Il y
avait même une comparaison avec ce que l'humanité avait
fait de l'espèce animale (c'est extrêmement mélangé,
naturellement, mais il y a eu des
perfectionnements, des améliorations, des utilisations plus
complètes). L'animalité, sous l'influence mentale, est devenue
quelque chose d'autre, qui était naturellement mélangé
parce que le mental était incomplet; de même, il y a
des exemples d'humanité harmonieuse parmi les gens bien
équilibrés, et cela paraissait être ce que l'humanité pouvait
devenir sous l'influence supramentale.
Seulement, c'est très loin en avant; il ne faut pas
s'attendre à ce que ce soit tout de suite — c'est très en
avant.
C'est clairement, encore maintenant, une période de
transition, qui peut durer assez longtemps et qui est plutôt
douloureuse. Seulement l'effort, quelquefois douloureux
(souvent douloureux) est compensé par une vision claire
du but à atteindre, du but qui sera atteint : une assurance,
n'est-ce pas, une certitude. Mais ce serait quelque chose
qui aurait le pouvoir d'éliminer toutes les erreurs, les
déformations et les laideurs de la vie mentale, et alors une
humanité très heureuse, très satisfaite d'être humaine, ne
sentant nullement le besoin d'être autre chose qu'humaine,
mais d'une beauté humaine, d'une harmonie humaine.
C'était très charmant, c'était comme si je vivais làdedans.
Les contradictions avaient disparu. Comme si je
vivais dans cette perfection. Et c'était presque comme
l'idéal conçu par la Conscience supramentale, d'une humanité
devenue aussi parfaite qu'elle peut l'être. Et c'était
très bien.
Et cela amène un grand repos. La tension, la friction,
tout cela disparaît, et l'impatience. Tout cela avait complètement
disparu.
C'est-à-dire que tu concentres le travail au lieu de le diffuser
un peu partout?
Non, il peut être diffusé matériellement, parce que les
individus ne sont pas nécessairement rassemblés. Mais ils
sont peu nombreux.
Cette idée d'un besoin pressant de "préparer" l'humanité
à la création nouvelle, cette impatience-là a disparu.
Il faut d'abord réaliser en quelques-uns.
C'est cela.
Je voyais, j'ai vu cela d'une façon si concrète. En de-hors
de ceux qui sont aptes à préparer la transformation et la
réalisation supramentale, et dont le nombre est nécessairement
très réduit, il faudrait que se développe de plus en
plus, au milieu de la masse humaine ordinaire, une humanité
supérieure qui ait vis-à-vis de l'être supramental futur ou en
promesse la même attitude qu'a l'animalité, par exemple,
vis-à-vis de l'homme. Il faut, en plus de ceux qui travaillent
à la transformation et qui y sont prêts, une humanité
supérieure, intermédiaire, qui ait trouvé en elle-même ou
dans la vie cette harmonie avec la Vie — cette harmonie
humaine — et qui ait le même sentiment d'adoration, de
dévotion, de consécration fidèle à "quelque chose" qui lui
paraît si supérieur qu'elle n'essaye même pas de le réaliser,
mais qu'elle adore et dont elle sente le besoin de l'influence,
de la protection, et de vivre sous cette influence, d'avoir la
joie d'être sous cette protection. C'était si clair. Mais pas
cette angoisse et ces tourments de vouloir quelque chose qui
vous échappe parce que... parce que ce n'est pas votre destin
encore de l'avoir, et que la somme de transformation
nécessaire est prématurée pour votre existence, et qu'alors
cela crée un désordre et une souffrance.
Par exemple, l'une des choses très concrètes qui montre
bien le problème : l'humanité a l'impulsion sexuelle d'une
façon tout à fait naturelle, spontanée, et je pourrais dire
légitime. Cette impulsion, naturellement et spontané-ment
disparaîtra avec l'animalité (bien d'autres choses
disparaîtront, comme, par exemple, le besoin de manger, et
peut-être aussi le besoin de dormir de la façon dont nous
dormons), mais l'impulsion la plus consciente dans une
humanité supérieure, et qui est restée comme une source
de... béatitude est un grand mot, mais de joie, de délice, c'est
certainement l'activité sexuelle, qui n'aura absolu-ment plus
de raison d'être dans les fonctions de la nature quand le
besoin de créer de cette manière-là n'existera plus. Par
conséquent, la capacité d'entrer en rapport avec la joie de la
vie montera d'un échelon ou s'orientera différemment. Mais
ce que les anciens aspirants spirituels avaient essayé par
principe — la négation sexuelle — est une chose absurde,
parce que ce ne doit être que chez ceux qui ont dépassé ce
stade et qui n'ont plus d'animalité en eux. Et elle doit tomber
naturellement, sans effort et sans lutte, comme ça. En faire
un centre de conflit, de lutte, est ridicule. C'est seulement
quand la conscience cesse d'être humaine que cela tombe
tout naturellement. Là, il y a une transition qui peut être un
peu difficile, parce que les êtres de transition sont toujours
en équilibre instable, mais il y a au-dedans de soi une espèce
de flamme et de besoin qui fait que ce n'est pas douloureux
— ce n'est pas un effort douloureux, c'est quelque chose que
l'on peut faire en sou-riant. Mais vouloir imposer cela à ceux
qui ne sont pas prêts à cette transition, c'est absurde.
C'est du bon sens. Ils sont humains, mais qu'ils ne prétendent
pas ne pas l'être.
Ce n'est que quand, spontanément, l'impulsion vous
devient impossible, quand vous sentez que c'est quelque
chose de pénible et de contraire à votre besoin profond,
alors cela devient facile; à ce moment-là, eh bien, extérieurement
vous coupez des liens, et puis c'est fini.
C'est l'un des exemples les plus probants.
C'est la même chose pour la nourriture. Ce sera la même
chose. Quand l'animalité tombera, le besoin absolu de
nourriture tombera. Et il y aura probablement une transition
où l'on aura une nourriture de moins en moins purement
matérielle. Par exemple, quand on respire des fleurs, c'est
nourrissant. J'ai vu cela, on se nourrit d'une façon plus
subtile.
Seulement, le corps n'est pas prêt. Le corps n'est pas
prêt et il se détériore, c'est-à-dire qu'il se mange lui-même.
Alors cela prouve que le moment n'est pas venu et que c'est
seulement une expérience — une expérience qui vous apprend
quelque chose, qui vous apprend que ce ne sera pas
un refus brutal d'entrer en rapport avec la matière correspondante
et un isolement (on ne peut pas s'isoler, c'est
impossible), mais une communion sur un plan plus élevé ou
plus profond.
(silence)
Ceux qui ont atteint aux régions supérieures de l'intelligence,
mais qui n'ont pas dominé les facultés mentales en
eux, ont un besoin candide que tout le monde pense comme
eux et soit capable de comprendre comme ils comprennent,
et quand ils s'aperçoivent que les autres ne peuvent pas, ne
comprennent pas, le premier réflexe est d'être horriblement
choqué; on dit : "Quel imbécile!" Mais ce n'est pas du tout
imbécile — ils sont différents, ils sont dans un autre
domaine. On ne va pas dire à un animal : "Tu es un
imbécile", on dit : "C'est un animal"; eh bien, on dit : "C'est
un homme." C'est un homme. Seulement, il y a ceux qui ne
sont plus des hommes et ne sont pas encore des dieux, et
ceux-là sont dans une position très... en anglais, on dit
awkwardl.
Mais c'était si apaisant, si doux, si merveilleux, cette
1
Incommode.
vision — chaque chose exprimant son espèce, tout naturellement.
Et il est tout à fait évident qu'avec l'ampleur et la
totalité de la vision, vient quelque chose qui est une compassion
qui comprend — pas cette pitié du supérieur à
l'inférieur : la vraie Compassion divine, qui est la compréhension
totale que chacun est ce qu'il doit être.